Les
Argyrodes et autres Argyrodinae COMPORTEMENT DES
ARAIGNEES ET LEUR ANATOMIE :
VINGT-CINQ ANS
DE RECHERCHES
(Version 2023) par André Lopez, auteur |
Couleurs
conventionnelles :
En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,,
noms
génériques et spécifiques ; en vert, noms de
familles et sous-familles ; en
orange,, parties
les plus importantes
et résumés ; en bleu, liens divers.
|
Abréviations
conventionnelles :
M.E.B.
:
(photographie en) microscopie électronique à balayage
M.E.T. :
(photographie en) microscopie
électronique à transmission
C.H. :
coupe histologique
(microscopie photonique)
|
Les
Argyrodes
sont de petite taille allant de 3 -4.5 mm.
chez A.
incursus
à environ 12 mm chez A. fissifrons.
Ils ont
de longues pattes
grêles, la troisième paire étant la plus courte et
un abdomen (opisthosoma)
plus ou moins conique, souvent allongé vers
l'arrière chez le mâle et plus
élevé chez la femelle (Fig.1, 2), parfois
pourvu de
tubercules, en tous cas plus
ou moins triangulaire. Sur fond de coloration
générale noire, brune, rougeâtre ou plus ou moins
jaune,
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Fig.1 - Argyrodes zonatus,
femelle, vue latérale droite. Corps : 5 mm. Voir le prosoma du mâle (M.E.T.) |
Sur toile de Nephila comorana. N'Gouja, Mayotte (© A.Lopez) |
cet abdomen peut
briller d'un vif éclat métallique argenté (Fig.2)
dû
à la guanine de
certaines cellules intestinales perçues à travers le tégument (Fig.3 :
flèches) et
responsable du nom générique (Argyros = άργυρsος, "argent" en grec),
ainsi que de leur appellation anglo-saxone de dewdrop spiders
(dewdrop signifiant
« gouttes de rosée »), par allusion
à leur forme et leur aspect
brillant qui, selon Darwin (1845),
en font "de jolies petites
araignées" .
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Fig. 4 - Argyrodes sp. femelle, vue latérale gauche du prosoma (© A.Lopez M.E.B.) | Fig.5- Argyrodes zonatus mâle,
glande acronale (©A.Lopez,C.H) |
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A,
pattes ambulatoires sectionnées- Bf, bosse frontale - C,
clypeus d'aspect
banal - Ch, chélicère - E ou S, flèche,
échancrure ou sillon clypéal - G, massif glandulaire acronal incurvé - O, oeil - P, pédipalpe |
Rappelons seulement que le prosoma des femelles a un aspect banal et assez
uniforme (Fig.4) tandis que, celui des
mâles
présente une morphologie remarquable, utilisée pour la
classification et dont
l'aspect parfois extravagant, mis en évidence par la microscope
électronique à
balayage
au niveau du clypeus
associe des protubérances
diverses et des
dépressions,
échancrures ou sillons
que garnissent des poils
(Fig.5).
Suivant
l’aspect général et la disposition de ces
reliefs, Lopez (1977b, 1979)
avait proposé initialement de
rattacher les mâles d’ Argyrodes
à cinq
types morphologiques bien
distincts, du moins chez les espèces
alors connues:
types “nasuté”, “rostré”,
“lippu”, “prognathe”et
“camard”. En
fait, une nouvelle classification, comportant cette
fois 6 morphotypes,
lui
parut ultérieurement plus appropriée, soit
les précédents et, en tête,
On
sait que les Theridiidae
du genre Argyrodes sont remarquables par leur
curieuse
inféodation
aux toiles d’autres Araignées, par leur dimorphisme sexuel prosomatique
et des cocons de forme trés particulière. Ils
possèdent un appareil
dit "stridulatoire", en fait stato-récepteur.
En Avril 1832, Charles
Darwin avait
déjà noté leur présence au Brésil,
près de Rio, lors de son célèbre
périple : "On trouve tous les sentiers de la forêt
barricadés par la forte toile jaune d'une espèce
qui appartient à la même division que l' Epeira clavipes de Fabricius...
Une jolie petite araignée, à pattes de devant fort
longues, et qui semble appartenir à un genre non décrit,
vit en parasite sur presque toutes ces toiles. Elle est trop
insignifiante, je suppose, pour que la grande Epeire daigne la
remarquer ; elle lui permet donc de se nourrir des petits insectes qui,
autrement, ne profiteraient à personne. Quand cette petite
araignée est effrayée, elle feint la mort en
étendant les pattes de devant, ou se laisse tomber hors de la toile...."(Darwin,
p.42).
L' " Epeire" est en fait bel et bien Trichonephila
clavipes (Linnaeus)(Fig.6 à 8). Quant au genre Argyrodes
il était alors effectivement inconnu puisque décrit et
nommé 32 ans plus tard par Simon
(1864) . L'importance mondiale des
espèces de Néphiles en tant qu'hôtes des Argyrodes
et l'impact de ces derniers sur les
précédentes ont d'ailleurs fait l 'objet d'un symposium
récent dans un congrés sud-africain (2001)
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Fig.6 -
Trichonephila
clavipes, femelle sur sa toile.
Serra do Cantareira, Sao Paulo,
Brésil.
(© Benoît Lopez, 2008) |
Fig.7- Trichonephila
clavipes, autre femelle sur sa
toile. Mont Cabassou, Guyane française.
(© A.Lopez)
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Femelle et
mâle(flèche) sur
leur toile.
Forêt du
Rorota-Mahury, Guyane. Photo A.L.
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Contrairement à la majorité des Aranéides, les Argyrodes sont incapables de mener dans la Nature une existence indépendante, ce qui les différencie d'autres Argyrodinae. Leur vie se trouve assujettie à la présence d’autres Theridiidae (Anelosimus eximius, taxon social de Guyane, cas dans lequel l'auteur a constaté une certaine spécificité vis à vis de l’hôte (Lopez,1987), d’ Eresidae (Stegodyphus), de Pholcidae (Holocnemus…) et surtout, d’ Araneidae orbitèles. Les plus recherchés de ces derniers hôtes sont les genres Micrathena, Argiope, et surtout, Cyrtophora ainsi que Nephila) dont elles habitent la toile en tous lieux : rochers, végétation depuis les semi-déserts jusqu'à la forêt équatoriale, et même constructions humaines. Elles y installent leurs curieux petits cocons en "mongolfière": cocon), s’y nourrissent de débris alimentajires et de proies engluées, menues mais parfois aussi très grosses, isolément ou en même temps que l’hôte. Legendre (1960) a défini ce type de relations comme un cas particulier d' "inquilinisme", terme auquel est substitué aujourd’hui celui de kleptoparasitisme (du grec kleptein = voler).Un possible avantage de voler des proies et de se nourrir avec l’hote est la prédigestion partielle de cette nourriture, comme l’a suggéré Kullmann (1959) et ce qui peut etre specialement avantageux pour de très grosses proies.Le propriétaire légitime de la toile tolèrerait les Argyrodes “ commensaux ” faute de pouvoir les chasser et il semblerait donc que les Argyrodes soient pourvus d’un moyen défensif qui les met à l’abri des entreprises violentes de l’ hôte.
De plus, les Argyrodes
manifestent une arachnophagie indiscutable car ils peuvent non
seulement se nourrir des jeunes de l'Araignée hôte,
à leur sortie du cocon ovigère mais même de
cette dernière, après l'avoir attaquée, lorsqu'elle est de
petite taille.
Qui plus est, selon Vollrath (1977), ils sont susceptibles de
s'en prendre directement à la soie, une protéine elle-même
nutritive (Peakall,1971) : les jeunes stades se nourrissant
En
fait, la relativeimmunité dont bénéficient les Argyrodes dans leurs rapports
avec l’Araignée-hôte n’est nullement concernée. La glande
clypéale ou acronale ne peut être
considérée comme un organe de défense élaborant
une substance répulsive ou
vulnérante à
l’instar des Insectes : elle manque chez les femelles ;
l’absence de musculature compressive et la terminaison des canaux
excréteurs dans une région anfractueuse conformée
en cul de sac, n’impliquent pas une projection de substance ou sa
libération massive lors des “ stress ”.
D’autres
facteurs interviennent dans la protection des Argyrodes :
♦ le camouflage
(crypsis), les Argyrodes
se tenant au repos toujours suspendues ventre en l’air dans les toiles
où elles rappellent une goutte d’eau par leur éclat
argenté ou des détritus tombé accidentellement sur
les fils ( petite taille : quelques mms.; couleur d’ensemble brun-jaune
clair ; abdomen de profil triangulaire ; position des pattes
étendues vers l’avant (PI et II) ou fléchies et
appliquées alors contre l’abdomen (Figs.27 à 29).
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Fig.27.- Argyrodes sp., femelle, pattes
étendues (dessin) |
Fig.28.-
Mâle,
pattes fléchies (dessin) |
Fig.29.-
Argyrodes
argyrodes, femelle pattes étendues |
A,
abdomen ; C, céphalothorax ; P, pattes |
♦ Des déplacements
très lents et precautionneux pour eviter la stimulation de
l’hôte, lorsque ce dernier est immobile.
♦ Une
grande prestesse dans l'esquive liée à leur
sensibilité tactile, à des réflexes trés
rapides et au fait que lors des vibrations anormales de la toile, les Argyrodes s'en laissent choir
brutalement comme "des goutelettes d'argent", au bout des fils de
rappel que produisent des glandes à soie
ampullacées plus volumineuses que chez les autres Theridiidae (Lopez,1983).
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Argyrodes
borbonicus (Ar)
sur toile de Nephila
inaurata (F,femelle ; M,
mâles) avec un stabilimentum (S).
La Réunion Photo A.L.
|
Cocon d' Argyrodes sp. (C) sur une toile de
Leucauge argyra (L).
Guadeloupe Photo A.L. |
Argyrodes
elevatus (nombreux petits points brillants, à
droite), sur une toile d' Argiope argentata (F,
femelle ; M, mâle).Guadeloupe Photo A.L. |
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Argyrodes
elevatus sur une toile de Metepeira
avec sa retraite (R) : 1 mâle (flèche) et 2 femelles.
Guadeloupe Photo
A.L. |
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Argyrodes
cognatus
mâle en
déplacement sur une toile de Cyrtophora.
Seychelles. Photo A.L. |
Argyrodes
cognatus
mâle cryptique, pattes
étendues. Mahé
(Seychelles). Photo A.L. |
Argyrodes
ululans
mâle
cryptique, pattes étendues, toile d'Anelosimus. Guyane.
Photo A.L. |
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Argyrodes sp.,
femelle pattes étendues en position cryptique,
dans une toile de Théridiide.
Pénédo
(Brésil : état Rio de Janeiro). PhotoA.L.,
Sept.2007
|
Pour certains arachnologistes ( ) se basant sur des expérimentations, le système relationnel considéré comme kleptoparasitique s'accompagnerait en fait d'une forme de mutualisme, la coloration corporelle de l' Argyrodes (en l'occurence A.fissifrons) et son éclat argenté étant bénéfique pour l'hôte (Cyrtophora unicolor) car sa présence, rappelant la lumière des étoiles ( ) attirerait d'avantage d' Insectes (notamment des Hétérocères) dans la toile de l'Aranéide qui, réciproquement, y tolèrerait l'accés de l'inquilin. Il s'agirait donc d'un exemple de relation entre deux Arthropodes prédateurs, la coloration d'une espèce renforçant les gains alimentaires pour l'autre.
Outre le vol de nourriture et en tant
qu'abri, les Argyrodes utilisent les toiles de leurs hôtes comme
un lieu électif pour la reproduction, à savoir
l'accouplement qui révèle un comportement sexuel
trés particulier et la ponte qui met en jeu des cocons
originaux, partie de
leur industric séricigène.
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Cocon
d' Argyrodes sp. (C) sur une
toile d'Holocnemus. Tunisie
Photo A.L.
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Cocon
d' Argyrodes argentatus sur
une toile coloniale. SriLanka
Photo
A.L.
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Fig. - Ariamnes
colubrinus, femelle, et son cocon. |
Fig. - Rhomphaea sp., femelle et son cocon |
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Fig.- Argyrodes argentatus femelle, Sri-Lanka,coupe sagittale de l'abdomen. | Fig. - Argyrodes argentatus, femelle, Sri-Lanka, coupe transversale de l'abdomen |
Ac, glandes aciniformes - Ag1, Ag2, glandes agrégées -Am, glande ampullacée - Cp, céphalothorax - Cr, cœur - Di, diverticule intestinal - F, filière - G, orifice génital - M, muscle -Ov, ovaires - P, pédicule - Pr, glandes piriformes.T, tégument (en partie décollé). Flèches jaunes : cellules à guanine.(C.H.© A.Lopez) |
Lopez,A.,1977.- Bull.soc.zool.France, 102, n° 3, p.261-266.
Lopez,A.,1979 (avec M.Emerit)- Rev.Arachnol., 2 (4), p.143-153.