Pédicule


  

 
            Pédicule  et  région  pédiculaire         


     ANATOMIE  ET  COMPORTEMENT   DES  ARAIGNEES  :  VINGT-CINQ  ANS  DE  RECHERCHES  
    
(Version 2023)
                                         
Par André LOPEZ
                                   





         Non content d'être un simple lieu de passage d'organes vitaux entre le céphalothorax et l'abdomen, le pédicule ou pédicelle  des Araignées renferme des glandes     tégumentaires et des structures sensorielles particulières (sensilles mécanoréceptrices)


Couleurs conventionnelles :
En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,, noms génériques et spécifiques ; en vert, noms de familles et sous-familles ; en orange,, parties les plus importantes et résumés ; en bleu, liens divers.
Abréviations conventionnelles :
M.E.B. : (photographie en) microscopie électronique à balayage
M.E.T. : (photographie en) microscopie électronique à transmission
C.H. : coupe histologique (microscopie photonique)




1 -11 - Introduction
               2 - Organes sus-pédiculaires en bourrelet
                     2-1- Microscopie à balayage   
                     2-2- Histologie
                            2-2-1- Composante cuticulaire
                            2-2-2 - Cellules
                     2-3- Ultrastructure
                            2-3-1- Composante cuticulaire

                   2-3-2- Composante cellulaire
                            2-3-3- Unités ultrastructurales
              3 - Glandes pédiculaires
                            3-1- Microscopie à balayage
                            3-2 -Histologie et ultrastructure
             4 - Commentaires
                            4-1 - Point de vue anatomique
                                   4-1-1 - Organes en bourrelets
                                   4-1-2 - Glandes pédiculaires

                    4-2 - Point de vue fonctionnel
                                   4-2-1 - Organes lyriformes
                                   4-2-2 - Glandes

                   4-3- Point de vue ontogénique

 


1 - Introduction

Le pédicule ou pédicelle des Araignées correspond à la partie la plus antérieure de leur abdomen, en représente le  premier somite ou segment VII et l’unit au céphalothorax (Fig.1).



cellulaire
Coupe totale araignée
Fig.1. - Coupe histologique sagittale et totale d'une Araignée : A, abdomen - C, céphalothorax - P, pédicule (C.H.© A.Lopez).


          

          Il s’agit d’une portion rétrécie de l’ opisthosoma, généralement dissimulée par sa convexité antérieure en vue dorsale, membraneuse, souple, flexible et fragile mais souvent renforcée par des pièces chitineuses, le lorum dorsal et la plagula ventrale.

Portant des  appendices fugaces lors du développement embryonnaire, le pédicule renferme divers organes qui l’on fait considérer comme un simple lieu de passage, du prosoma dans l’abdomen (tube digestif, nerfs) et inversement  (aorte, trachées) (Fig. 2).



Coupe long.pédicule
Fig.2.- Vue partielle du pédicule (coupe histologique sagittale)  : Ao, aorte - M, muscle strié - N, nerf - Td, tube digestif - Tr, tissu réticulé (C.H.© A.Lopez).


.

En fait, son étude histologique et au M.E.B. a permis à l'auteur de souligner qu’il inclue aussi des glandes  tégumentaires isolées (Lopez,1996b) ou agminées et anatomiquement définies (Lopez,1984 ; Lopez,1986a) et surtout, des organes sensoriels sus-pédiculaires particuliers (Lopez,1994b ; Lopez,1996b), en forme de bourrelets allongés.

De plus, l'auteur a démontré chez les Argyrodes (Theridiidae) (Lopez,1988a ; Lopez,1994a ; Lopez,1994b), que d’autres formations sensorielles ayant une  structure de base très voisine  s’associent aux organes en bourrelet du pédicelle et constituent un complexe supra-pédiculaire , avec "lyre" et "archet" décrit autrefois comme « appareil stridulatoire » (Fig.3). Tous sont des sensilles mécanoréceptrices pouvant être impliquées dans l’équilibration.



 Pedicule Dracus
Fig.3.- Argyrodes dracus : pédicule et complexe supra-pédiculaire, vue latérale gauche.
 C, céphalothorax avec la lyre (1) - A, abdomen avec l'archet (2) - L, organe en bourrelet - R, lorum
 (M.E.B.© A.Lopez)).


       A.Lopez a utilisé comme matériel d'étude plusieurs espèces d’Argyrodes (Theridiidae) (Ténérife, Guyane) ainsi qu’ Uroctea durandi (Oecobiidae) (garrigues du St Chinianais, Ouest de l’ Hérault, France) (Fig.3) et les deux Metinae souterrains  Meta bourneti Simon et Meta menardi (Latr.) (cavités naturelles et mines des Avant-Monts, massif de la Montagne noire, ouest de l’Hérault, France) (Fig.3). Les Argyrodes ont été examinés au Laboratoire souterrain du CNRS (Note1) pour l’ ultrastructures des organes en bourrelet et de l’appareil « stridulatoire », celle des glandes en revanche nous ayant presque «échappé». L'auteur a également observé les organes en bourrelet chez des Araignées appartenant à diverses autres familles (Clubionidae, Pisauridae, Agelenidae, Argyronetidae, Araneidae, Theridiosomatidae, Linyphiidae, Archaeidae…) ; ils  pourraient donc caractériser la totalité de l’Ordre
des Aranéides.


Meta bourneti
Uroctée
Fig.3.- Meta bourneti Sim., à gauche (grotte de l'Hérault) et Uroctea durandi Cl. (garrigue de l'Hérault),  à droite.  P, région du pédicule


2 - Organes sus-pédiculaires en bourrelet



          Au nombre constant d’une paire, ces organes sont disposés symétriquement sur la partie postéro-dorsale du pédicule, presque au contact de l’abdomen qui les surplombe en «auvent» par sa convexité antéro-dorsale  et tend à les masquer lors d’un examen direct. Il s’ensuit que l' auteur les a généralement observés dans des coupes histologiques ou semi-fines sériées et reconnus enfin à posteriori, sur des photographies de M.E.B. où le pédicule est bien dégagé ( Lopez,1988a : figs.2,4,6). Pourtant axé sur le systéme nerveux des Araignées, Foelix (1982, p.252 : fig.175 a) en représente un autre sans le signaler  (Note 2)

         Chaque organe occupe, en position parasagittale, un ressaut latéro-externe de la face pédiculaire supérieure et y est séparé du lorum, lorsque ce dernier existe, par une dépression peu profonde (Fig.4).



Pedicule Argyroneta
Pédicule Meta gauche
 Fig.4.- Pédicule d'Argyroneta aquatica Cl., vue dorsale.
Fig.5.- Pédicule de Meta bourneti, vue latérale gauche .
A, abdomen ; L, organe lyriforme en bourrelet  ; La, partie antérieure de cet organe ; P, champ de pores ; R, lorum (M.E.B.© A.Lopez).
               

2.1-Microscopie à balayage



         Il se présente au M.E.B. comme une saillie allongée en forme caractéristique de bourrelet non circulaire, allongé, hémicylindrique, parallèle au grand axe du pédicule et mesurant en moyenne 100 µm de long sur 35 de large (Fig.4,5). Sa surface est plus ou moins ensellée dans le sens de la longueur, convexe et sillonnée transversalement par des fentes subparallèles lui conférant un aspect en «accordéon » (Fig.5). Séparées par des crêtes mousses, ces fissures  sont environ une quinzaine,  nombre assez constant, mais de largeur variable. Elles ont un fond déprimé, un peu concave, lisse mais montrant un «ombilic» central. Ce dernier  (½ µm environ) sertit une projection conique encore plus petite qui y fait saillie (Fig.6).

        L’organe en bourrelet  peut perdre son aspect régulier aux deux extrémités où il semble se « dissocier ».



Lyriofissures, ombilics
Fig.6.- Organe en bourrelet, détail : D, saillie de dendrite - Lf, lyrifissure - O, ombilic (M.E.B.© A.Lopez).

2.2-Histologie



          Chaque organe montre une composante cuticulaire, des neurones et des cellules «satellites» remplaçant localement à son niveau une partie de l’épiderme. Ils contractent des rapports de simple voisinage avec du tissu réticulé, les hémocytes  d’un vaste sinus sanguin, l’aorte antérieure, les nerfs de la cauda equina, l’intestin moyen  et des muscles striés.


2.2.1- Composante cuticulaire  

          Très fragile et tendant à se fracturer sous le rasoir du microtome, elle est  épaisse d’environ 25 µm et présente une série régulière de cavités plus visibles dans les coupes obliques ou longitudinales que dans les sections transversales (Fig.  ). 

          Ces cavités sont parallèles, régulières, séparées par des cloisons droites ou incurvées, et donnent à l’organe un aspect de « crible ». Closes en surface par de très fines membranes représentant le fond concave des fentes, elles paraissent vides ou contiennent des prolongements de cellules.

2.2.2- Cellules

       Les neurones sont toujours au nombre de deux pour chaque lyrifissure. Ils ont un corps volumineux, allongé (30 µm) et pyriforme, avec un noyau rond (6 µm), clair, nettement nucléolé et un cytoplasme basophile. Il s’en détache  deux prolongements : l’un apical dendritique qui gagne la fissure sus-jacente ; l’autre basal axonique qui  rejoint ceux des autres neurones et participe ainsi à la constitution d’un faisceau  (Fig.) ralliant le nerf du pédicule.

       Les autres cellules satellites») de l’organe lyriforme sont étroites, allongées, pourvues d’un cytoplasme mal délimité et d’un petit noyau (4 µm), moins régulier, ovalaire, très chromatique, sans nucléole apparent. Elles entourent les neurones, leurs dendrites et sont donc  vraisemblablement des cellules-envloppes.  

Histo lyriforme

Fig.7.- Coupe histologiqued'un organe en bourrelet (Meta bourneti). A, nerfs - C, cuticule - E, cellules-enveloppes - Lf, lyrifissures - N, neurones (C.H.© A.Lopez).

(C.H


2.3- Ultrastructure


2.3.1 - Composante cuticulaire


      Chacune de ses cavités est un compartiment dit externe creusé dans l’exocuticule, d’aspect «délité» et la mésocuticule. Il est étroit, allongé comme la lyrifissure elle-même, comme cloisonné et fermé en surface par une membrane externe. Constituée par de l’épicuticule et extrêmement mince, cette membrane  correspondant bien à celle des coupes histologiques, donc  au fond de la lyrifissure, et s’invagine en un petit cylindre de couplage au niveau de l’ombilic (Fig. ). Par ailleurs, le même compartiment externe est obturé dans sa partie profonde par une deuxième membrane, la membrane interne endocuticulaire.


2.3.2- Composante cellulaire


          
Les deux neurones correspondants sont des cellules volumineuses à noyau arrondi, pourvu d’un grand nucléole excentrique et d’une chromatine abondante, dispersée et en mottes. Leur périkaryon contient de nombreux organites : vésicules de réticulum, appareil de Golgi (dictyosomes) et mitochondries (Fig.8).

         

Neurone lyriforme
Fig. 8 - Argyrodes argyrodes, neurone : D, dictyosomes - E, cellules -enveloppes - N, noyau
(M.E.T.
© A.Lopez)


          
Leurs 
dendrites comportent tous deux : un segment proximal ou interne, riche en vésicules et en mitochondries ; une région ciliaire rétrécie montrant 9 paires ou doublets de microtubules longitudinaux se disposant en  cylindre, lisses, sans bras de dynéine ; un segment distal qu’une gaine scolopale dense commune aux deux prolongements entoure au delà de la région ciliaire (Fig.9).

            Fait particulier, ces deux dendrites sont de  longueurs inégales. Le plus court se termine sur la membrane interne. Le  plus long renferme un corps tubulaire constitué par un faisceau longitudinal de microtubules parallèles montrant une vague striation transversale. Ce corps est entouré par la membrane dendritique, des granules denses et enfin, la gaine scolopale (Fig.10).    

Région ciliaire
Tubulaire détail
Fig.9.- Argyrodes argyrodes,  régions ciliaires des deux dendrites.
Fig. 10 .- Argyrodes argyrodes,  dendrite long et son corps tubulaire.
 C, endocuticule ; Ci, régions ciliaires avec leurs 9 doublets en couronne - E, cellules-enveloppes - Ex, compartiment externe - In, compartiment interne - Mi,        membrane interne endocuticulaire - S, scolopale - T, corps tubulaire (M.E.T.© A.Lopez)

      
         
 Les cellules-enveloppes, encore par deux, l’une interne et l’autre externe, sont très aplaties, incurvées et garnies de quelques microvillosités. Elles entourent les corps cellulaires des neurones, puis leurs dendrites, la gaine scolopale et en sont ensuite séparées par un espace extracellulaire large, évasé en cloche,  s’ouvrant sous l’endocuticule.
... (Fig.10).

2.3. 3- Unités ultrastructurales

          Il s’ensuit que l' organe sus-pédiculaire en bourrelet est un ensemble cohérent d’unités ultrastructurales identiques juxtaposées.

         Chacune d’elles se compose de deux neurones, de deux cellules-enveloppes et d’une chambre à deux compartiments : l’un interne ou profond correspondant à l’espace extracellulaire sous-cuticulaire ; l’autre externe ou superficiel en pleine cuticule, clos en surface par la membrane externe épicuticulaire. Ils sont séparés l’un de l’autre  par la membrane interne endocuticulaire (Schéma).

     




Schéma lyriforme
Schéma d'une unité ultrastructurale (d'après Barth, 1971).

Ci, régions ciliaires - D, dendrites - L, lyrifissure - Me, membrane externe épicuticulaire - Mi, membrane interne endocuticulaire - O, ombilic - S, scolopale. En marron, cuticule ; en bleu clair, compartiment externe ou superficiel ; en bleu foncé, compartiment interne ; en vert, cellules-enveloppes ; en rose clair, dendrite long ; en rose foncé, dendrite court.




         Le compartiment profond loge les deux dendrites inégaux, leur scolopale et les deux cellules enveloppes. Le plus court des dendrites se termine sur la membrane interne tandis que le  plus long traverse cette même membrane, puis le compartiment externe  et aboutit enfin à la membrane externe. Il s’y insère en doigt de gant, au centre même de la fente, sur le cylindre de couplage épicuticulaire.    

3 - Glandes pédiculaires


Elles peuvent être isolées dans le tégument du pédicelle, y sont alors peu visibles (Argyrodes), ou se réunissent  en organes anatomiquement définis (Noirot & Quennedey,1974) et présentant ou non des rapports avec les organes en bourrelet.

Chez Uroctea, ces glandes sont au nombre d’une paire et siègent sur les parties ventro-latérales du pédicule. Il semble y en avoir 7 chez Meta bourneti et menardi : une médio-ventrale située dans la partie toute antérieure du pédicelle, presqu’ entre les coxae des P IV ;  deux latéro-ventrales ; deux antéro-dorsales liées aux organes en bourrelet ; deux enfin postéro-dorsales débordant sur l’abdomen (Fig.8).


3.1-Microscopie à balayage


         Elle met en évidence des pores dispersés ou plus souvent  groupés (agminés) sur le tégument pédiculaire.

Ils sont d’un diamètre variable (0,8 à 2,7 µm), arrondis ou triangulaires, simples ou dédoublés, généralement dépourvus de margelle et de niveau avec la surface. Groupés, ils forment 7 «aires poreuses» ou champs de pores médio-ventral, latéro-ventraux, antéro-dorsaux et postéro-dorsaux correspondant respectivement aux glandes sus-mentionnées.
          Dans le cas des Meta, les champs antéro-dorsaux sont  en rapport étroit avec l’extrémité antérieure des  organes en bourrelet dont les fentes s’associent avec des pores excréteurs réunis autour de ces fissures sur de gros replis tégumentaires (Fig.). Les autres champs restent à distance des organes en bourrelet, leurs pores s’éparpillant sur un tégument pédiculaire mamelonné ou d’aspect gaufré.



Pores, lyrifissures 1
Pores, lyrifissures 2
Fig.8 - Champs de pores (P) et  lyrifissures (L) . O, ombilics (M.E.B.© A.Lopez)



3.2--Histologie et ultrastructure



Chez les Meta et Uroctea, les organes glandulaires correspondent parfaitement aux champs de pores qui sont donc bien leurs orifices excréteurs. Ils ont un aspect uniforme en microscopie photonique, quelque soit le champ considéré.




Pédicule Meta 1
Fig. 9- Coupe histologique parasagittale du pédicule de Meta bourneti.
A, abdomen - Gd, glande postéro-dorsale - Gv, glande latéro-ventrale - L, organe en bourrelet - M, muscle - N, nerf - P, pédicule  (C.H.© A.Lopez)




           Chacun d’eux est recouvert par une cuticule peu épaisse (8µm), très sinueuse et plissée. Il se compose des cellules sécrétrices ou adénocytes, de cellules «satellites» et de canalicules excréteurs aboutissant aux pores (Fig.10 à 12). Ces éléments doivent être réunis  en  unités fonctionnelles, juxtaposées et moins visibles ici que dans les glandules  isolées (Argyrodes)  où elles sont en revanche bien individualisées.

 
Glande Meta 1
Lyriforme glande 1Glande details
Fig. 10.-Glande antéro-dorsale et organe en bourrelet
Fig. 11.- Glande postéro-dorsale
Fig.12.- Détail de la glande  précédente
A, abdomen - C, cuticule -Cd, cellules satellites (canalaires) - Cg, cellules glandulaires (adénocytes) - L, organe en bourrelet - M, muscle strié - R, "réservoir"
(C.H.© A.Lopez)


             Les adénocytes sont de grande taille (jusqu’à 70 µm), étroits, allongés, pyramidaux  et  présentent un «réservoir» acidophile également allongé (10 à 20 µm) (Fig.10,12). Ce «réservoir» correspond à une invagination apicale de la cavité extracellulaire. Elle est bordée par des microvillosités convergeant  vers un canalicule récepteur axial (appareil terminal) dont la paroi  fenestrée présente un aspect de  «crible» spongieux. Le noyau est central, vésiculeux  (10 µm) et renferme une chromatine dispersée. Le cytoplasme paraît très découpé dans sa partie basale, probablement par des replis profonds du plasmalemme. Il renferme des sacs et vésicules de réticulum endoplasmique en partie granulaire, des grains de sécrétion et des mitochondries allongées (Fig. ).

   Les cellules satellites ou canalaires s’intercalent entre les adénocytes et paraissent plus nombreuses sous la cuticule (Fig. 10 à 12). Individualisée par un petit noyau anguleux, dense et « tigré » pourvu d’une chromatine en gros blocs, chacune d’elles entoure vraisemblablement un canalicule excréteur  simple faisant  suite au  récepteur et l’enveloppe jusqu’à la cuticule qu’il traverse ensuite pour s’ouvrir à son pore.


4 - Commentaires

4.1 - Au point de vue anatomique

4.1.1 - Les organes sus-pédiculaires  en bourrelet sont indiscutablement de nature nerveuse tout comme les unités d’ «archet» dans le complexe supra-pédiculaire des Argyrodes car ils comportent deux neurones bipolaires caractéristiques. entourés par leurs  cellules enveloppes. Les dendrites de ces neurones présentent tous deux une région ciliaire, ainsi nommée car elle a la structure d’un cil, dépourvu toutefois  des bras de dynéine, donc immobile. Le corps tubulaire, décrit pour la première fois par Thurm (1964) chez l’Abeille domestique,  a des granules denses moins nets que ceux des poils tactiles d’Araignées (Barth,1971) et du complexe supra-pédiculaire des Argyrodes  (appareil dit "stridulatoire") sont  au nombre de deux, alors qu’il y en a habituellement trois.

De plus, les fentes de leur partie cuticulaire se présentent comme d’authentiques lyrifissures.

         On sait que ces dernières, appelées aussi «organes en fente», ne se rencontrent que dans la classe des Arachnides et en sont caractéristiques. Elles sont isolées, groupées ou composées et portent  alors, dans ce dernier cas, le nom d’organe lyriforme, leur ensemble et leur pourtour évoquant les cordes et le cadre d’une lyre ou d’une harpe.

Les lyrifissures isolées étaient essentiellement signalées sur le corps des Araignées (prosoma et opisthosoma, pédicule compris). En revanche,  les organes lyriformes n’avaient été décrits  que sur les seuls appendices, près de leurs articulations, et mal interprétés au niveau du pédicule (Barth & Libera, 1970 : préparations éclaircies chez une seule espèce), jusqu’à ce que Lopez prouve par l’histologie et l’ultrastructure que ce dernier en est aussi pourvu régulièrement.

           Bien qu’ils aient une forme inhabituelle et assez singulière au M.E.B., leur aspect histologique est celui des autres organes lyriformes tels que Kaston (1935) les a décrits  : « slit sense organs » (Schéma ) dans les pattes d’Araignées, à cette réserve près que chaque unité, ou organe en fente élémentaire, possède deux neurones, et non un seul, comme il l’affirmait. De plus, nous avons retrouvé au M.E.T.  tous les caractères ultrastructuraux mis en évidence et schématisés par Barth (1971) (Schéma).

Les organes sus-pédiculaires en bourrelet sont donc bien des organes lyriformes.

Ils font partie des sensilles mécanoréceptrices, organes spécialisés dans la perception des stimuli externes qui s’exercent sur la cuticule tégumentaire chitineuse, véritable « exosquelette ».

Dans le cadre général de sensilles mécanoréceptrices, les organes lyriformes se rattachent plus spécialement  aux mécanorécepteurs cuticulaires de Mac Iver (1975), formations associant de même une composante chitineuse ou cuticulaire, des cellules sensorielles ou neurones et des cellules enveloppes. Leurs dendrites neuronaux renferment toujours un corps tubulaire, structure éminemment caractéristique des sensilles d’Arthropodes décrite pour la première fois par Thurm (1964) chez l’Abeille domestique. La composante cuticulaire peut être un poil ou ses dérivés (sensilles à poil des Araignées, Crustacés et Insectes), un dôme chitineux (sensilles campaniformes des Insectes) et, dans le cas présent, une fente ou lyrifissure. Ils semblent en fait se rapprocher surtout des sensilles campaniformes, leurs homologues chez les Insectes (Pringle,1955), dont le neurone est cependant  toujours unique (MacIver,1975) (Schéma ) alors que l’innervation est multiple , au moins double, chez tous les Arachnides (Araignées, Scorpions, Acariens…).

Les organes lyriformes  pédiculaires entrent donc dans le même cadre que les unités d’ «archet» du complexe supra-pédiculaire ("appareil stridulatoire") et les sensilles gonoporalesde l' appareil épigastrique.

4.1.2 - Les
glandes pédiculaires se rattachent toutes à la classe 3 décrite par Noirot et Quennedey  (1974,1991) dans leur étude sur les Insectes. Qu’elle soit isolée ou fasse partie d’un organe anatomiquement défini, chaque unité fonctionnelle est un ensemble cohérent d’au moins deux cellules, glandulaire et du canal, réunies en «organule», formant peut-être un groupe isogénique clonal et  donc nées d’une seule cellule-souche épidermique (Noirot & Quennedey, 1991). Le système excréteur débute dans la cavité extracellulaire de l’adénocyte par une portion réceptrice et y fait partie de l’ appareil terminal, dispositif rencontré dans les autres glandes tégumentaires d’Araignées.


4.2- Au point de vue fonctionnel

4.2.1- Les organes lyriformes sont des mécanorécepteurs, structures sensorielles percevant une déformation mécanique du corps soit par des forces internes qu’engendre l’activité musculaire, soit, dans leur cas particulier, par des stimuli externes commes les contacts, les vibrations et surtout la pesanteur.
Comparables à des « jauges de contrainte » biologiques  (Barth,1981) dont le « design » multiunitaire accroit la sensibilité, les organes lyriformes du pédicule détecteraient dans ce dernier tout stimulus comprimant les fentes perpendiculairement à leur axe comme dans les appendices (Barth, 1972). Le stimulus modifierait l’ incurvation de la membrane externe (épicuticulaire) et exercerait une poussée  ou une traction sur le dendrite sous-jacent, sa membrane et la gaine scolopale. Le corps tubulaire serait ainsi excité, soit par compression  au travers de la membrane dendritique (Thurm, 1964), soit par étirement de cette dernière sur le  faisceau de microtubules (Rice & al.,1973), ce qui entrainerait  une ouverture de ses canaux ioniques et la dépolarisation (signal électrique).
         
L’axe des lyrifissures étant à peu près transversal par rapport au pédicule, on peut concevoir que les stimuli mécaniques proviennent de l’abdomen et (ou) du prosoma  lorsque ces deux tagmes se déplacent l’un vers l’autre en télescopant le grand axe pédicellaire. Il est possible aussi que l’abdomen comprime les fentes par son surplomb antérieur lors de distorsions latérales et surtout, que la pesanteur  sollicite les deux organes lyriformes. Ces derniers joueraient  alors  un rôle de récepteurs de gravité, maintenant par voie réflexe l’ Araignée dans sa position habituelle dont  on sait qu’elle peut orienter sa face ventrale vers la bas ou, très curieusement,  vers le haut. Une association est peut-être effective chez les Argyrodes avec le complexe supra-pédiculaire ("appareil stridulatoire").

4.2.2- Les glandes doivent élaborer une sécrétion continue ou intermittente pouvant soit lubrifier le pédicule lorsqu’il entre en contact dans ses déplacements avec le prosoma et (ou) l’abdomen, soit  être de nature phéromonale. Dans ce dernier cas, l’existence de glandes chez tous les exemplaires de Meta (mâles, femelles,   immatures) et peut être aussi  d'Uroctea, ne serait pas en faveur d’un rôle d’attraction sexuelle mais plutôt de reconnaissance intraspécifique comme dans les organes segmentaires.

Nous n'avons par ailleurs aucune preuve de la synergie des glandes et des  organes lyriformes alors qu’une association anatomo-fonctionnelle de sensilles et organes glandulaires semble plus vraisemblable dans le cas de l' appareil épigastrique.

4.3- Au point de vue ontogénique.


        La présence dans le pédicule d’organes lyriformes et de glandes semble pouvoir accréditer l’hypothèse de sa nature segmentaire. On le considère en effet comme un véritable somite (Savory, 1928) que la plagula et le lorum chitineux renforcent et individualisent. Ce premier segment opisthosomal (Millot,1968), somite prégénital ou  VIIeme somite des Arachnides (Savory, 1977) aurait une existence temporaire, ne persistant que chez les Araignées et les Ricinuléides.
      Les glandes pédicellaires rappellent trop les organes segmentaires des bases d’appendices prosomatiques  pour ne pas être considérées comme une preuve assez convaincante. Quant aux organes lyriformes, typiques des articles, ils pourraient bien traduire l’incorporation d’appendices éphémères apparus lors du développement dans le somite pédiculaire.


Note 1: Laboratoire souterrain du CNRS, Moulis 09200 : fixation des parties étudiées au glutaraldéhyde à 2,5% dans un tampon  au cacodylate, post-fixation au tétroxyde d’osmium à 0,2% dans le même tampon ;  inclusion dans le Spurr ; coupes fines au microtome Reichert OM U2 contrastées par l’acétate d’uranyle et le citrate de plomb ;  examen de ces coupes  au microscope Sopelem sous 50 KV. .Travail effectué  avec Lysiane Juberthie-Jupeau, directeur  de recherches au CNRS,  et ses collaboratrices.

Note 2 :Les Arachnologistes US avaient presque tous négligé l’anatomie interne des Araignées pour leurs études systématiques, biologiques et phylogéniques lorsque l'auteur a réalisé ses travaux. De même, l'anglophone allemand Foelix, du moins dans la première édition de son ouvrage(1982), a fait l'impasse sur les découvertes préexistantes d' A.Lopez, 




Bibliographie


Barth,F.G.,1971.- Z.Zellforsch., 112, p.212-246.
Barth,F.G.,1972.- Journ.Comp.Physiol.,78, p.315-336.
Barth, F.G., 1981.- « Strain detection in Arthropod exoskeleton » in Laverack,M.S. & D.J.Cosens – Sense organs, Blackie, p.112-118.

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