Araignées endocrinoïde
 
Tissu endocrinoïde des Mastophorini et autres Cyrtarachninae


ANATOMIE  DES  ARAIGNEES  : VINGT-CINQ  ANS  DE  RECHERCHES
(Version 2022)


En rapport étroit avec Mastophora sauvegardé    Cyrtarachninae    Araignées et allomones et  Kaira




Les Cyrtarachninae et notamment celles du genre Mastophora sont des Araignées extraordinaires, de la grande famille des Araneidae, qui attirent leurs proies, le plus souvent des Papillons Hétérocères mâles, en émettant des allomones, substances attractives simulant les phéromones sexuelles femelles de ces Lépidoptères (Mimétisme chimique agressif). Selon André Lopez qui l'a découvert par histologie, du moins dans  trois genres bien distincts, un étrange organe abdominal baptisé "tissu endocrinoïde" serait à l'origine du processus, une nouvelle preuve de l'évolution darwinienne. Ce tissu est une structure anatomique étonnante située entre les glandes à soie agrégées, constituée par des amas cellulaires en ilôts,  cordons ou rubans, beaucoup plus développés chez la  femelle et montrant parfois une fausse lumière centrale. Les cellules, anguleuses, ont des noyaux  arrondis et des  cytoplasmes acidophiles montrant des signes  ultrastructuraux  de production stéroïdienne. Il est probable qu'elles stimulent le tégument abdominal comme les glandes de mue et les ecdystéroïdes induisant ainsi la production d' allomones attirant les mâles d' Hétérocères dans le cadre du mimétisme chimique agressif.


The Cyrtarachninae and in particular those of the genus Mastophora are extraordinary spiders, of the large Araneidae family, which attract their prey, most often male Heterocera Butterflies, by emitting allomones, attractive substances simulating the female sexual pheromones of these Lepidoptera (Aggressive chemical mimicry ). According to André Lopez who discovered it by histology, at least in three very distinct genera, a strange abdominal organ baptized "endocrinoid tissue" would be at the origin of the process, a new proof of Darwinian evolution.The abdominal endocrinoid tissue is an astounding anatomical  structure, located between aggregate silk glands, their ducts and chylenteron diverticulae invading prosomatic horns. It  is constituted by ribbon or cord-like cellular clusters, by far the most conspicuous in female and sometimes showing a false central lumen. The cells, angular in shape, are provided with round nuclei and acidophilic cytoplasms showing ultrastructural steroid production features. There is chance that they stimulate abdominal integument like moulting glands and ecdysteroids thus inducing the production of allomones attractive for male moths (aggressive chemical mimicry)




Couleurs conventionnelles :
En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,,,noms génériques et spécifiques ; en vert,,noms de familles et sous-familles; en orange,, parties les plus importantes et résumés ; en bleu, liens divers.

Abréviations conventionnelles :
M.E.B. : (photographie en) microscopie électronique à balayage
M.E.T. : (photographie en) microscopie électronique à transmission
C.H. : coupe histologique (microscopie photonique)


1 - Introduction

     1-1 - Morphologie
     1-2- Répartition 
     1-3- Systématique, Phylogénie
2 - Anatomie interne
     2-1-Abdomen
          2-1-1 - Tissu abdominal endocrinoïde
                     2-1-1-a - Histologie

                     2-1-1-b - Ultrastructure
3 - Commentaires
        3-1 - Considérations anatomiques
        3-2 - Considérations physiologiques
        3-3 -
Considérations phylogéniques
 
   

1 - Introduction

1 -1- Morphologie


Au  point de vue morphologique, toutes les Mastophorini (Araignées Araneidae Cyrtarachninae) se singularisent par des pattes épineuses et un corps trapu. Leur abdomen est globuleux, avec des bosses dorso-latérales parfois très saillantes et des teintes cryptiques (Fig.4,5) ; le céphalothorax montre de curieuses  protubérances dorsales : en forme de «couronne», de « mitre » et, dans le cas des Mastophora , soit d’une paire de «cornes occipitales» plus ou moins bifurquées (Fig.1 à 3 : flèches et "H"), soit de files de pointes acérées (Fig.1).


    
Cornes Mastophora face
Male cornigera
Carapace mâle
Fig.1 - Mastophora cornigera et bisaccata , femelles.  Prosomas vus de face (d'après Gertsch)

Fig.  2 -M. cornigera, mâle mûr : vue dorsale totale

Fig.3 -Vue dorsale du prosoma sans pattes ni palpes
                                                                                    H et flèches  rouges, cornes bifurquées ; O, yeux ; P, pédipalpes.
                                                                      Fig.3 :
© A.Lopez M.E.B.



Les autres Cyrtarachnineae ont aussi un corps très ramassé, avec l’abdomen globuleux  souvent garni de tubercules ou protubérances épineuses et paré de couleurs vives (Poecilopachys) (Fig.4 à 6 ) ou déprimé transversalement (Pasilobus) (Fig.7).

Cornigera femelle 
Celaenia femelle 
Poecilopachys 
Pasilobus 
Fig.4 - Mastophora cornigera
Femelle, vue dorsale. Flèche : cornes
Fig. 5 - Celaenia excavata
 Femelle, vue dorsale (
Col.A.Lopez)
Fig.6- Poecilopachys  australasia
Femelle, vue dorsale (Col.A.Lopez)
 Fig.7- Pasilobus sp.
Femelle,vue frontale (Col.A.Lopez)


     

           1-2 - Répartition

 Au point de vue biogéographique
, les Mastophorini ont une répartition tropicale et sub-tropicale très étendue : Amérique, du Sud des USA jusqu’à l’Argentine ; Afrique australe ; région australienne (Australie, Nouvelle-Zélande). Les Cyrtarachneae sont une tribu  d’Araignées tropicales propres à l’Ancien Monde (Australie, Nouvelle-Guinée, Inde, Chine, Japon).


     1-3 - Systématique, Phylogénie


Au point de vue systématique, les Mastophorini comportent deux tribus : les Mastophoreae, avec les genres américains Mastophora et Agatostichus, africains Cladomelea et Acantharachne, australo-néozélandais Dicrostichus et Ordgarius ; les Celaenieae, avec seulement deux genres, Taczanowskia, sud-américain, et Celaenia  de la région australienne. 

La tribu des Cyrtarachneae (Simon,1892) réunit quelques genres peu connus encore: Cyrtarachne, hindou et extrême-oriental ; Poecilopachys et Pasilobus, austro-hindous  ;  Paraplectana, extrême-oriental.

   Au point de vue phylogénique, les Mastophorinae forment un groupe assez homogène, anciennement détaché des Araneidae dont il possède toutefois les caractères anatomiques fondamentaux. De même, les Cyrtarachneae dérivent manifestement de la même famille, par leurs morphologie et industrie séricigène.


         1-4 - Comportement de chasse
Au point de vue éthologique, les Mastophoreae élaborent de fils pendants garnis d’un (Fig.9,10) ou plusieurs (Fig.8) globules visqueux que les femelles font tourner avec l'une des
pattes ambulatoires en un mouvement de manège ou tourniquet («whirligig») (Fig.9), les manipulent ainsi comme des «bolas» de gauchos sud-américains («bolas-spiders»), engluent les proies à la volée et halent ensuite le fil qui en est chargé(Fig.11) pour les consommer après paralysie. Les "bolas» inutilisés sont renouvelés périodiquement par ingestion. L’ordre de la patte varie d’ailleurs selon le genre : I chez Mastophora et Agatostichus, II chez Dicrostichus et Ordgarius, III chez Cladomelea.



Dicrostichus bolas Whirligig
Fig.8 - Dicrostichus magnificus femelle (D) tenant un bola à plusieurs globules (flèches) (Col.A.Lopez)  Fig.9 -  Mastophora faisant tourner son bola à globule unique : séquences du mouvement par artifice photographique.



Mastophora 3 Mastophora 4
Fig.10 - Mastophora bisaccata femelle (M) tenant un bola à globule unique (flèche) et attirant un Hétérocère (L). Fig.11- La même vient d'engluer l' Hétérocère avec le globule de son bola sous tension (flèche)

        

 


       Les Celaenieae (Fig.5),
en revanche, ne produisent aucun appareil soyeux de capture et saisiraient directement les proies avec leurs pattes I et II étendues (Mc Keown,1952 ; Eberhard,1981).

Pour leur part, les Cyrtarachneae tissent des toiles orbiculaires modifiées, asymétriques, larges, triangulaires ou polygonales, plus ou moins inclinées sur l’horizontale, pourvues d’un petit nombre de radii et ne comportant pas  la classique spirale gluante des Araneideae (Fig.12,13). Cette dernière est remplacée par un «fil visqueux» («viscid line») lui-même formé de «fils en pont» («spanning threads») lâchement tendus dans les secteurs (Clyne, 1973 : Poecilopachys) (Fig.12). Leur partie centrale est garnie d’un matériel très gluant, en larges gouttelettes et l’une de leurs extrémités se rompt facilement lorsqu'un Insecte (Lépidoptère) y adhère, pendant alors comme un bola chez Pasilobus (Robinson & Robinson, 1975) (Fig.13).

      

Toile Poecilopachys
Toile Pasilobus
Fig.12.- Toile de Poecilopachys (d'après Clyne) 
 Fig.13- Toile de Pasilobus (d'après Robinson & Robinson)
C, charpente ; Fv, fil visqueux ; M, moyeu ; R, radius P, Araignée ; L,  Lépidoptère. Flèche :"fil en pont"rompu et pendant.

 

           

       Une autre singularité biologique fort remarquable est décrite dans les genres Dicrostichus (Lowry, in Mc Keown,1952) et  Mastophora (Gertsch,1947) : la maturité sexuelle précoce des mâles nains . Ces derniers sortent adultes du cocon ovigère, leurs bulbes copulateurs bien développés  permettant de les identifier aisément dès l’émergence et de ne pas les confondre avec de petites araignées venant d'éclore ("spiderlings").


2 - Anatomie interne

          Sa présentation sera réduite à celle de l'abdomen, le prosoma de Mastophora n'étant étudié que dans cette  partie du site (glandes à venin, gnathocoxales, diverticules intestinaux dans les "cornes",

L'anatomie interne de la sous-famille entière étant inconnue jusqu'à ses travaux, A.Lopez (1985a) a donc recherché dès cette date si des particularités histologiques peuvent expliquer celles de la morphologie externe, du comportement prédateur et du développement post-embryonnaire. il a utilisé comme matériel d'étude les quatre Araneidae Mastophora cornigera Hentz et  M. bisaccata Emerton (Fig.1à4, fig.10,11) (Mastophoreae), Celaenia excavata (Celaenieae) (Fig.5) et Poecilopachys australasia (Cyrtarachneae)(Fig.6)

Les deux premiers taxons étaient représentés par des exemplaires à divers stades évolutifs, y  compris des jeunes femelles et tous les mâles mûrs sortis depuis peu du cocon (M.bisaccata) ; ils provenaient des USA, respectivement de Californie (Fiesta Island, San Diego) et de Floride (Gainesville, Alachua) où  M.K.Stowe les a récoltés et fixés (1984, 1991-92). A.Lopez les a ensuite préparés pour l’histologie selon des techniques banales ; le matériel destiné à la M.E.T à été inclus en Floride et examiné ultérieurement dans le Laboratoire ariégeois de Moulis (Note1).

Les exemplaires de Celaenia sp. se réduisaient  à deux femelles adultes provant de Nouvelle-Zélande (Takapuna, Auckland) où G.Lowe les a capturées et fixées en 1991.

Poecilopachys australasia, une femelle adulte, a été récoltée et fixée en Australie (Brisbane, Queensland) par  Benoit Lopez, fils de l'auteur (1994). 

         Ce dernier a préparé la majeure partie du matériel  pour l’histologie, selon des techniques banales ; une Mastophora bisaccata, comme par ailleurs Kaira alba, ont seuls fait l’objet d’un examen au M.E.T. dans le Laboratoire ariégeois (Note1).

      La documentation sur Celaenia et surtout Poecilopachys ne concerne que certaines glandes à soie, le tissu endocrinoide et la partie ventrale du céphalothorax.

           

2-1 Abdomen


          Il renferme notamment l'appareil génital présenté chez Mastophora
et  surtout l' appareil séricigène également décrit en détails dans le même genre

      

Jamais étudié chez les Mastophorinae avant les recherches histologiques de Lopez (1985a,1985b chez Mastophora bisaccata et M. cornigera, rappelons que ce dernier se compose dans le cas de la femelle des 6 types de glandes séricigènes d' Araneidae dès de 3eme stade du développement (Lopez,1985a).

Les glandes ampullacées, au nombre de 4 se terminant dans les filières antérieures et moyennes.

Les glandes piriformes, «mi-parties» selon l’expression de Millot aboutissant aux filières antérieures.

            Les glandes aciniformes, de catégorie «B», les moins nombreuses, et de catégorie «A», se terminent dans les filières moyennes et postérieures.

Les glandes agrégées, de volume considérable (Fig.14), multilobées, elles ont une lumière anfractueuse, un aspect arborescent et des  canaux excréteurs, noduleux et à plusieurs couches pariétales aboutissent aux filières postérieures.  

Les glandes flagelliformes rejoignent filières postérieures par leurs canaux excréteurs où chacun d’eux s’associe étroitement en « triade fonctionnelle » avec une paire de canaux de glandes agrégées.

Les glandes tubuliformes se terminent dans les filières moyennes et postérieures.

L’appareil séricigène du mâle est réduit à 4 catégories : glandes ampullacées majeures et mineures, glandes piriformes, glandes aciniformes.
   

Agrégées Mastophora 202
Fig.14 - Mastophora cornigera, femelle adulte. Vue très partielle de l'abdomen montrant le grand développement des glandes à soie agrégées.
Ag, agrégées - D, diverticule chylentérique - E, épithélium des agrégées  A.Lopez C.H )     



      De son côté, Caelenia excavata parait totalement dépourvue de glandes agrégées, catégorie dont l'absence est connue, par ailleurs chez d'autres Araneidae construisant pourtant une grande toile (Cyrtophora : Kovoor & Lopez,1982)

      Par ailleurs, chez Poecilopachys australasia, les mêmes glandes ont un développement considérable. Leurs canaux présentent une paroi à nodules si étendus qu'ils semblent  parfois s'en être isolés pour former un tissu distinct (Fig.15).


Poecilopachys séricigène
Fig. 15 - Poecilopachys australasia, femelle : partie de l'appareil séricigène
Glandes séricigènes agrégées et piriformes. D, canal excréteur de glande agrégée - N, nodules externes - Pi, glandes piriformes. Flèches : cuticule (A.Lopez,C.H.). A.Lopez C.H.).

2-1-1 -
Tissu abdominal endocrinoïde


2
-1-1.a - Histologie


     Au voisinage immédiat des agrégées et ampullacées des Mastophora, de Celaenia, et des agrégées de Poecilopachys australasia
, il existe un tissu très particulier , d’aspect glandulaire mais sans canaux excréteurs, entouré d’hémolymphe, ne contractant que des rapports de contiguïté avec l’appareil séricigène et les diverticules chylentériques.

Dans le cas de Mastophora tout d'abord, il est réduit chez le mâle (Fig.16,17), bien plus développé chez les femelles immatures du même genre (Fig.18,20,21) et atteint un volume considérable lorsqu’elles deviennent adultes (Fig.19).



Endocrinoïde mâle 1
Endocrinoïde mâle 2
Fig.16 - Mastophora cornigera, mâle : ilôt de tissu folliculaire endocrinoïde. Fig.17 - Même mâle : autre ilôt de tissu folliculaire endocrinoïde(photo noir et blanc).
E, tissu - D, diverticule intestinal - S, glande à soie. Flèche : cavité centrale A.Lopez C.H.)


Mastophora 21
Fig.18 - Mastophora cornigera, femelle immature. Coupe transversale et totale d'abdomen
Ag, agrégées - C, canal excréteur d'agrégée - D, diverticule chylentérique - E, épithélium des agrégées - En, tissu endocrinoïde  A.Lopez C.H )


  


Endocrinoïde adulte 1
Fig.19 - Mastophora cornigera, femelle adulte : vue trés partielle d'une coupe d'abdomen.
A, corps de glandes agrégées - C, leur canal excréteur - Te, tissu endocrinoïde folliculaire
A.Lopez C.H.)



       Dans tous les cas, ses cellules sont bien individualisées, de tailles et  de forme assez constante globuleuse, polyédrique, cuboïdale ou même conique. Leur cytoplasme est acidophile, finement grenu, parfois criblé de très petites vacuoles. Leur noyau est arrondi, clair, nucléolé, riche en chromatine bien visible.

Elles se réunissent en petits massifs et cordons peu sinueux, arrondis dans les coupes transversales, compacts ou montrant souvent une cavité axiale très étroite, presque virtuelle et qui n’est pas une vraie lumière (Fig.20,22,23).


Endocrinoïde immature 1
Endocrinoïde immature 2
Fig.20 - Mastophora cornigera, femelle immature : détails du tissu endocrinoïde folliculaire. Fig.21 - Autres détails du tissu endocrinoïde folliculaire dans une partie différente de l'abdomen.
Cy, cytoplasmes de cellules endocrinoïdes - I, cellules à ferment de diverticule intestinal - L, cavité ("lumière") centrale - N, noyaux de cellules endocrinoïdes A.Lopez C.H.).



   Ces groupements de cellules sont assez peu nombreux, bien  isolés les uns des autres de taille relativement grande chez les immatures (Fig.20,21), en quantité beaucoup plus grande, tassés les uns contre les autres et plus petits chez les femelles adultes (Fig.19,22,23). Ils se présentent comme des structures sacciformes collabées, entièrement closes, dépourvues de toute structure canalaire, baignées directement par l’hémolymphe. Un tel ensemble de caractères est très évocateur de leur nature «endocrinienne» et n’est pas sans évoquer les follicules (vésicules) thyroidiens de Vertébrés.



Endocrin. adulte détail 1 Endocrin.adulte détail 2
 Fig.22- Mastophora cornigera, femelleadulte : détails du tissu endocrinoïde folliculaire.
Fig.23 - Autres détails du tissu endocrinoïde folliculaire dans une partie voisine de l'abdomen.
N, noyaux des cellules endocrinoïdes disposées en ilôts juxtaposés - V, vaisseaux. Les flèches désignent des cavités ("lumières") centrales A.Lopez C.H.).




         Faute d’une meilleure appellation, le tissu peut donc être qualifié de «folliculaire endocrinoïde». Il s’insinue entre les organes voisins, notamment les lobes des agrégées et les diverticules chylentériques (Fig.18,19) qui semblent d’ailleurs les déformer par compression. De plus, il tend à se répartir en quatre amas : deux ventraux, paramédians, situés un peu en arrière du niveau des phyllotrachées (poumons), et deux latéro-dorsaux, très externes. Les amas sont seulement accolés aux glandes séricigènes agrégées, entourent l’origine de leurs canaux excréteurs (Fig.19).

Le tissu folliculaire endocrinoïde du mâle de(Mastophora cornigera se limite à deux petits massifs cellulaires symétriques pouvant montrer quelques signes de dégénérescence : condensation ou vacuolisation exagérées du cytoplasme, pycnose nucléaire (Fig. 16,17).


        Le
tissu endocrinoïde se retrouve chez la femelle de Celaenia excavata où ses ilôts se logent entre les glandes tubuliformes, qui tendent à les comprimer (Fig.24,25). Ils montrent, eux aussi, des cavités centrales trés étroites que peut limiter une seule assise cellulaire (Fig.24).



Endocrinoide Celaenia 1 Endocrinoide Celaenia 2
Fig.24- Celaenia excavata, femelle : vue trés partielle d'une coupe d'abdomen (photo noir et blanc).
Fig.25 - Autre ilôt endocrinoïde dans une partie différente de l'abdomen, détail (photo noir et blanc).
Tu, glandes tubuliformes - E, ilôts de tissu endocrinoïde folliculaire. La flèche désigne une cavité centrale en fente.
A.Lopez C.H.)



          Chez la femelle de Poecilopachys australasia, il présente aussi un développement considérable. Insinué entre les lobes des énormes glandes agrégées, il se compose encore de massifs cellulaires en ilôts éosinophiles montrant de gros noyaux ronds vésiculeux, nettement nucléolés, et de rares ébauches de cavités centrales (Fig.26,27).


Poecilo 2
Poecilo 3
Fig.26 - Poecilopachys australasia femelle : coupe d'abdomen. .

Fig.27 -Poecilopachys australasia, même femelle : autre coupe d'abdomen.
Ag, glande agrégée (corps) - E, tissu endocrinoïde A.Lopez C.H.)



2-1-1- b Ultrastructure
         Elle n'a été étudiée (sommairement) que chez  Mastophora bisaccata.

Les amas cellulaires sont entourés par une lame basale mince formée d’un matériel finement granuleux (Fig.28).

Il semble exister une discrète polarité cellulaire, notamment dans les amas « évidés » en leur centre car le plasmalemme tend à former des invaginations intracytoplasmiques au-dessous de la basale.

Le noyau, clair et arrondi, renferme de la chromatine dispersée dans son nucléoplasme et formant aussi de grosses mottes marginales.

Le réticulum endoplasmique est remarquablement développé, lisse, et se compose de cisternae pouvant se dilater en chapelets vésiculaires.

Les autres organites sub-cellulaires sont des mitochondries allongées pouvant présenter des crêtes tubulaires, de petits dictyosomes, des lysosomes,  des polysomes et des microtubules épars (Fig.29).




Endocri1noide MET détail
Endocrinoide MET détail 2
Fig. 28 - Mastophora bisaccata : cellules du tissu endocrinoïde folliculaire. Fig.29 - Mastophora, la même, tissu endocrinoïde : détails des organites
B, lame basale - L, lysosomes - M, mitochondries à crêtes tubulaires- P, plasmalemme - R, réticulum lisse A.Lopez M.E.T.)




3 - Commentaires  

  3-1- Considérations anatomiques


       L' appareil séricigène de Mastophora (immatures, femelles adultes, mâles mûrs), peut être aussi celui de Poecilopachys (non étudié en détails), a une composition et une structure d’ensemble qui sont typiques des Araneidae, et  ne refléte donc  pas la disparition de la toile orbiculaire classique. Les glandes flagelliformes  produisent vraisemblablement les fils axiaux pelotonnés des "bolas" de Mastophora (fig.2) et la fausse spirale de Poecilopachys (Fig.12)Clyne,1973) Dans les deux genres, le grand développement des agrégées assure une sécrétion de «glue» très abondante, ce qui garantit la production répétée des globules de «bolas» et la mise en place des enduits visqueux centraux sur les « fils en pont » de la fausse spirale.

 En revanche, l'appareil séricigène de Celaenia semble bien être dépourvu de glandes agrégées, ce qui explique un comportement de chasse excluant tout fil de capture.

             Dans aucun de ces cas, les agrégées, lorsqu’elles existent, et toutes les autres catégories glandulaires ne comportent aucune cellule spéciale qui puisse être comparée à celles des glandes botryoïdes chez  Kaira alba.

          De plus, il n'existe aucun rapport de continuité entre les glandes à soie, notamment les agrégées ou arborescentes, productrices de la glue, et le tissu folliculaire endocrinoïde  abdominal

           Ce dernier ne peut être confondu avec aucune autre structure histologique, notamment la glande de mue.


         Il est en effet bien différent du tissu interstitiel
adipoïde étroitement associé avec l’intestin (Millot, 1926), ne peut correspondre à des glandes séricigènes ébauchées ou involuées et paraît aujourd’hui ne plus pouvoir être considéré comme un simple contingent postérieur de la glande de mue
(Fig.30),  première conception erronée  de Lopez (1985a) chez Mastophora


Mastophora 33
Mastophora 34
Fig. 30 - Mastophora cornigera, glande de mue (Céphalothorax).   Fig.31 - Poecilopachys australasia, glande de mue (Céphalothorax).
Gm, glande de mue prosomatique - Gn, gnathocoxe avec ses glandes "salivaires" - M, muscle - N, ganglions nerveux - Np, néphrocyte
A.Lopez C.H.)


       

Découverte et décrite par Millot (1930) sous le nom de"tissu endocrine", cette dernière présente dans tout l’ordre des Araignées une stricte localisation céphalothoracique (Streble,1966 ; Bonaric, 1980) à l’exception toutefois de certaines Mygales  dont les Liphistiidae (Lopez,1981) où on la retrouve jusque dans l’abdomen au contact des gros nerfs (Legendre, 1981). Son rôle dans les mécanismes de l’ecdysis a été évoqué par Legendre (1959) qui la considère comme un homologue mésodermique de celle des Insectes, et confirmé par Bonaric (1980) qui lui a attribué son nom définitif.


         Cette glande de mue (Fig.30,31)
adopte dans le prosoma
une disposition spatiale qui est en grande partie métamérique («organe antérieur» et «organe postérieur», «groupes latéraux») alors que le tissu folliculaire endocrinoide abdominal ne semble pas en présenter une. De plus, les derniers examens comparatifs de Lopez montrent que leurs aspects histologiques ne sont pas exactement superposables. Contrairement au tissu folliculaire endocrinoïde de Mastophora, Celaenia et Poecilopachys, les cellules de la glande de mue ont une taille assez variable et une forme plus irrégulière. Elles se groupent plutôt en rubans et en travées compactes où il n’y a pas de «lumière» ; leur association avec des néphrocytes et des hémocytes est quasi-constante (Fig. 30,31).

Les caractères ultrastructuraux sont en revanche assez voisins (réticulum endoplasmique lisse développé, crêtes mitochondriales tubuleuses).


3-2- Considérations physiologiques

Sur le plan fonctionnel, il est hors de doute que le tissu folliculaire endocrinoïde abdominal ne soit impliqué dans l’attraction et la capture de proies, le produit des régurgitations de Mastophora et l'épiderme de ses  pattes étant à exclure, du moins chez les femelles adultes.

Ses relations avec la substance  volatile attractive autorisent deux hypothèses.

    ▬ La plus séduisante est inspirée par le mode d’action des ecdystéroïdes, dont on sait qu’ils sont responsables du déterminisme de la mue et de autres processus mettant en jeu la différenciation cellulaire (métamorphoses, formation des œufs) aussi bien chez les Insectes que chez les Araignées. Le tissu folliculaire endocrinoide présentant des indices ultrastructuraux d’élaboration stéroïdienne, ses sécrétions pourraient activer les propres cellules épidermiques corporelles de Mastophora tout comme Celaenia y stimulant, non plus la formation d’une cuticule nouvelle comme dans les mues mais la synthèse d’ARN, proteines et polysaccharides, peut-être aussi d’enzymes, nécessaire elle-même à celle des attractifs volatiles et "odorants" sans aucun doute des allomones. L’absence d’images histologiques concrètes en faveur d’une participation du tégument dans des zones spécifiques (cornes , surface de l'abdomen) n’est certes pas en faveur de cette théorie. Il est prouvé cependant que chez les Papillons femelles eux-mêmes, certains organes abdominaux dits « appelants » (sacculi laterales et autres glandes évaginables) ont des cellules épidermiques banales que recouvre une cuticule ordinaire (Steinbrecht, 1964).

          Une deuxième hypothèse implique les rapports d’étroit voisinage entre le tissu et l’appareil séricigène, glandes agrégées et flagelliformes en particulier. Cet appareil serait un vecteur de la sécrétion endocrinoïde, qu’elle y pénètre via l’hémolymphe, chemine ensuite par le canal excréteur, s’évapore enfin au niveau des fusules ou que plus simplement, elle se mêle à la soie des bolas (Mastophora) ou du fil visqueux homologue chez Poecilopachys (fils axiaux, globules adhésifs dans chacun des deux cas).
Toutefois, les observations d’auteurs nord-américains tels qu’ Eberhard (1977) privilégient le corps même de l’Araignée et excluent formellement une quelconque attraction par les produits des glandes à soie, confirmant ainsi la première hypothèse de Lopez.

L'implication
finale d'allomones montre qu'il s 'agit bien là d'un magnifique exemple  de mimétisme chimique agressif.

 


 3-3- Considérations phylogéniques


Ainsi que Lopez (1985b) l’a déjà évoqué au début de ses observations sur les «Araignées excentriques» du nouveau Monde et confirmé ensuite ultérieurement (Lopez,1998), il existe une ressemblance certaine entre les Mastophora, Celaenia et Poecilopachys non seulement par leur équipement séricigène (composante agrégée «arborescente» en particulier) mais surtout, par le tissu folliculaire endocrinoïde abdominal dont elles sont pourvues. Ce dernier a été malheureusement ignoré par Levi (2003) dans sa mise au point sur le premier genre (Note 2).

Quelques années plus tôt, Eberhard (1980) dans son étude sur Mastophora dizzydeani et Robinson (1982), dans sa monographie sur les Araignées de Papouasie, avaient proposé de rattacher les Mastophoreae, les Celaenieae et les Cyrtarachneae, dont Poecilopachys,  à un même groupe monophylétique. Leurs arguments, repris par Stowe (1986) (Note 2) n’étaient pas anatomiques mais uniquement d’ordre éthologique : prédation presque exclusive sur des Hétérocères, du moins chez les Mastophorinae ; homologie des fils «en ponts» («spanning-threads») et des «bolas», peignés avec les pattes IV lors du tissage, tous pourvus d’une glue adhésive pour les Lépidoptères ; régurgitations malodorantes et peut être répugnatoires ; flexion  particulière des pattes I et II lors du repos diurne ; cocons ovigères juxtaposés et à couche externe coriace.

Ces particularités  disparates peuvent bien être considérées  comme des synapomorphies mais paraissent néanmoins plus accessoires que les caractères anatomiques internes. La structure fondamentale de l’appareil séricigène reste typique des Araneidae et n’est donc pas un argument formel. En revanche, le tissu folliculaire endocrinoïde se présente comme une caractéristique majeure,  commune aux trois genres Mastophora, Celaenia, Poecilopachys et justifiant, plus que toute autre, leur appartenance à une même série évolutive. Suggéré initialement part les Robinson (1975) et repris ensuite par Eberhard (1980) et l’un des précédents auteurs (Robinson,1982), ce groupement monophylétique dériverait d’Orbitèles typiques, incluerait d’abord Poecilopachys et l’Araignée néo-guinéenne Pasilobus, réunirait ensuite les Mastophoreae à bolas (Mastophora, Dicrostichus, Cladomelea) pour s’étendre enfin aux Celaenieae qui n'en produisent pas (Celaenia, Taczanowskia). 

 

Il est capital de souligner ici que la sous-famille  reste complètement isolée du genre Kaira (Araneinae) au sein des Araneidae et ne peut à priori, descendre d’un même ancêtre. Bien que des proies leur soient communes (Lépidoptères Hétérocères, Diptères) et pareillement attirées par des odeurs allomonales («mimétisme chimique agressif"), trop de caractères anatomiques et comportementaux  s’opposent à un rapprochement des Mastophorinae et de Kaira. Comme le rappelle Stowe (1986), ce dernier taxon est caractérisé chez le mâle par une apophyse bulbaire terminale que ne possèdent pas  les précédents ; les cocons ovigères sont superposés, dépourvus de couche externe coriace et tissés en utilisant différemment les pattes IV ; il n’existe pas de régurgitations malodorantes ; les pattes I et II  ne sont pas fléchies au repos. De plus, les glandes gnathocoxales ou maxillaires présentent un dimorphisme sexuel, inexistant chez Mastophora  où il va de pair avec l’absence de coiffe.  La toile est rudimentaire mais d’un type et d’une origine absolument uniques   chez les Araignées : les zigzags déposés sur sa charpente en  trapèze sont le produit des glandes flagelliformes et surtout, par leur enduit, de glandes agrégées extraordinairement modifiées : les glandes botryoïdes (Lopez,1986). Les proies sont attirées chez Kaira par  ce même enduit «odorant», donc par la toile et les glandes agrégées alors qu’elles sont orientées vers le corps même de l’Araignée par son tissu endocrinoïde et l’activation tégumentaire dans le cas des Mastophorinae.

    


Note 1 :  Laboratoire souterrain du CNRS, Moulis 09200 : fixation des parties étudiées au glutaraldéhyde à 2,5% dans un tampon  au cacodylate, post-fixation au tétroxyde d’osmium à 0,2% dans le même tampon ;  inclusion dans le Spurr ; coupes fines au microtome Reichert OM U2 contrastées par l’acétate d’uranyle et le citrate de plomb ;  examen de ces coupes  au microscope Sopelem sous 50 KV.Travail effectué  avec Lysiane Juberthie-Jupeau, directeur  de recherches au CNRS,  et ses collaboratrices.

Note 2 : Les Arachnologistes US avaient presque tous négligé l’anatomie interne des Araignées pour leurs études systématiques, biologiques et phylogéniques lorsque Lopez a réalisé ses travaux. Leurs résultats  semblent avoir “choqué” certains d’entre eux, au point d’interrompre brutalement une  collaboration qui  s’annonçait fructueuse  avec M.K.Stowe. Bien qu'associé aux publications, ce dernier a  occulté la découverte de la glande botryoïde (Lopez,1985a) dans son travail de 1986,  privant ainsi son article (et ceux qui ont suivi) de la seule explication logique du comportement de Kaira. 8 ans plus tard,  son maître H.W. Levi (1993) "ignorait" toujours l'anatomie interne du même genre bien qu'elle eut été capitale pour sa mise au point. 

 



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