Les Cyrtarachninae



   LES  CYRTARACHNINAE
 ANATOMIE    ET  COMPORTEMENT  DES  ARAIGNEES  :   VINGT-CINQ  ANS  DE  RECHERCHES

(version 2022)


Cet article original, en rapport avec Mastophora, tissu endocrinoïde et allomones avait inspiré celui qu' André Lopez a rédigé pour Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyrtarachninae
mais du fait des exigences des bandeaux outranciers  qui y
ont été apposés il n'entre plus dans son cadre "encyclopédique" qu'à titre accessoire et ne sera jamais modifié.



Couleurs conventionnelles :
      En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,, noms génériques et spécifiques ; en vert, noms de familles, sous-familles et tribus ; en orange,, parties les plus importantes et résumés  ; en bleu, liens divers.
Abréviations conventionnelles :
M.E.B. :
(photographie en) microscopie électronique à balayage
M.E.T. : (photographie en) microscopie électronique à transmission
C.H. : coupe histologique (microscopie photonique)


      1 - Introduction
      2 - Distribution géographique
      3 - Anatomie externe
      4 - Industrie séricigène
           4-1 - Les toiles et les modes de capture des
proies
                 4-1-a - Tribu des
Cyrtarachnini
                 4-1-b-  Tribu des Mastophorini
                        4-1-b-1 - Genres à bolas
                        4-1-b-2 - Genres sans bolas
           4-2- Points c
ommuns
                 4-2-a - Suspension de la proie
                 4-2-b- Adhésivité
                 4-2-c- Attraction des
proies par mimétisme chimique phéromonal agressif
    5 - Support anatomique
    6 - Histoire phylogénétique
    7 - Biogéographie
    8 - Bibliographie


 
1 - Introduction


Les Cyrtarachninae sont une sous-famille d'Araneidae réunissant aujourd'hui deux tribus : les Cyrtarachnini et les Mastophorini, cette dernière incluant les fameuses «Araignées à bolas» dont le genre Mastophora (Araignées chassant leurs proies en faisant tournoyer un fil de soie lesté par un ou des «globules» visqueux)(Gertsch,1955).

2 - Distribution géographique

Leur répartition est mondiale, du continent américain à l'Australie et l'Extrême Orient, en passant par l'Afrique et même l'Europe où une espèce, Cyrtarachne ixoides (ixodoides)(Fig.1,A) les représente en France.

3 - Anatomie externe

Chez la plupart des espèces de Cyrtarachninae, l’abdomen des femelles adultes est proportionnellement plus large que le  céphalothorax qu’il tend à recouvrir en le dissimulant plus ou moins et peut être très étalé dans le sens transversal (Pasilobus) (Fig.1,D). Sa forme globale et son ornementation, motifs et fond de couleurs vives, peuvent simuler certains  Insectes, par exemple des Coccinelles (Paraplectana coccinella, Paraplectana tsushimensis)(Fig.1,C). Il peut être également  pourvu  de tubercules ou verrucosités de tailles, formes, coloris variés (Cyrtarachne bufoninus, C. inaequalis, C.bufo, Poecilopachys australasia) (Fig.1,B,E). Le prosoma ou céphalothorax peut également présenter des excroissances en tubercules ou cornes (Mastophora), ces dernières pouvant simuler une rangée d'épines (Cladomelea debeeri). (...)


Cyrtarachninae diverses
Fig.1 - Exemples de Cyrtarachninae : aspect externe. A,Cyrtarachne ixoides - B, Cyrtarachne bufo - C, Paraplectana coccinella - D, Pasilobus sp. - E, Poecilopachys australasia - F, Mastophora sp. - G, Taczanowskia - L, Aranoethra - H, Celaenia excavata - K, Dicrostichus ou Ordgarius (Montage A.Lopez)


Cette morphologie particulière crée une forme de mimétisme protecteur batésien par une couleur d’ensemble jaune-verdâtre fondant l' araignée dans la végétation (Taczanowskia)(Fig.1,G), une ressemblance (rare) avec des insectes  comme les Coccinelles (Fig.1,C), des débris végétaux, des excréments d’oiseaux tombés sur la végétation (Celaenia, Mastophora extraordinaria : "Bird-dropping spiders" des anglo-saxons)(Fig.1,H), voire même la coquille de  Mollusques terrestre(Cyrtarachne conica, C. inaequalis, C. bufo) (fig.1,B).

Par ailleurs, la morphologie générale et la coloration peuvent prêter à confusion avec les Gasteracanthes, comme dans le cas d'Aranoethra cambridgei  dont le jaune éclatant (Fig.1,L)rappelle celui de Gasteracantha remifera.  Emerit (1977) a d’ailleurs tenté un rapprochement phylogénique audacieux entre les Cyrtarachninae, surtout les mâles immatures de Cyrtarachne "ixodoides" et les Gastéracanthes, lien  basé sur la sigillotaxie (plaques chitinisées) de l’abdomen et ses tubercules mais le dit  rapprochement  ne semble  pas justifié  par l' anatomie  interne.

Les mâles, du moins chez Cyrtarachne et Mastophora, sont sensiblement plus petits que les femelles (Fig.3,4). Il existe donc alors un dimorphisme sexuel volumétrique marqué comme chez les Argiopes et les Néphiles.

Dimorphisme ixoides
Dimorphisme Mastophora
Dimorphisme Poecilopachys
Fig.2 - Cyrtarachne ixodoides, femelle à gauche, mâle à droite
Fig.4 -Mastophora phrynosoma, femelle
et 4 mâles
Fig.3 - Poecilopachys australasia, femelle à gauche, mâle à droite
Dimorphisme sexuel volumétrique chez trois Cyrtarachninae : deux Cyrtarachnini et une Mastophorini (Extraits d' Internet)

4 - Industrie séricigène

Dans le cadre de cette industrie séricigène entre le tissage de cocons ovigères en général globuleux (MastophoraCelaenia)(Fig.5,6) ou fusiformes (Cyrtarachne ixoidesDicrostichus magnificus)(Fig.7,8).

Cocons bisaccata
Celaenia cocons
Cocon Cyrtarachne
Cocons Ordgarius
Fig.5 - Cocons de Mastophora bisaccata
Fig.6 -Cocons de Celaenia
Fig.7 - Cocon de Cyrtarachne
(D'après Gros)
Fig.8- Ordgarius (Dicrostichus) magnificus, femelle sur cocons ovigères





4-1 - Les toiles et les modes de capture des proies

Les Araignées de la sous-famille des Cyrtarachninae construisent des toiles d’une extraordinaire diversité structurale (Stowe,1986) opposant les deux tribus qui la constituent : Cyrtarachnini  et Mastophorini  

Selon  une première hypothèse (Robinson & Robinson, 1975; Eberhard, 1980), les toiles auraient évolué par  réduction progressive en quatre étapes qui se sont succédées au fil du temps: le type à fils en pont («spanning-thread webs» des anglo-saxons), le type en triangle, le type à bolas et, en fin de compte, la disparition pure et  simple de tout édifice soyeux (Scharff & Coddington, 1997).

Elle a été infirmée plus récemment par l' étude de phylogénie moleculaire ardue de Tanikawa et al. (2014), puis celle de Scharff  et al. (2020).


4-1-a - Tribu
des Cyrtarachnini

Les genres Cyrtarachne, PasilobusPoecilopachys et Paraplectana tissent des toiles orbiculaires trés modifiees car pourvues d’un petit nombre de radii et de fils visqueux largement espacés à disposition non spiralée, nommés en anglais ‘spanning-threads”, soit “fils en pont” (Clyne, 1973 ; Chigira, 1978  ; Robinson, 1980 Shinkai, 1992). Leur construction « laborieuse » a été décrite en détails par Stowe (1986), d’après différents auteurs dont s’inspirent également les dessins joints.


Toile Cyrtarachne bufo
Toile Cyrtarachne ixoides 1
Toile Cyrtarachne ixoides
Fig.9 - Cyrtarachne bufo, toile.
Fig.10- Cyrtarachne ixoides, toile.
Fig.11 - Cyrtarachne ixoides: toile fixée dans la végétation.
M, moyeu - P, fil gluant en pont - R, radius - S, secteur.
 Schéma d'après Suginaga
C, charpente - M, moyeu - P, fil gluant en pont - Pd, fil gluant détaché à une extrémité - R, radius - S, secteur.
Schéma d'après Olin.
Fils gluants , les uns fixés en "pont" aux deux bouts et les autres pendants après un impact
D'après Olin.



 
La toile des Cyrtarachne exotiques se compose d’une charpente de forme variable, en triangle ou en polygone plus complexe, de radii divergeant à partir d’un moyeu subcentral et de fils en pont pouvant former des cercles complets au travers des secteurs (Fig.9). Elle peut atteindre 1 m de diamètre.

Celle de notre espèce indigène Cyrtarachne ixoides, étudiée en détail par Odin (2013) dans les Landes se rencontre souvent entre deux buissons ou herbes hautes, à une hauteur de 1 à 2 m, plus rarement jusqu’à 3 ou 4 m dans un arbre. Cet édifice, mieux visible quand il est emperlé de rosée matinale, se compose  d’une charpente en cadre rectangulaire, s’attachant  typiquement, à  quatre supports, d’un ensemble de 8 à 10 radii convergeant vers un moyeu (Fig.10,11) renforcé de soie plus denseet, dans les secteurs,  de  fils en pont très gluants, sans disposition spiralée .Ces fils de capture forment, de profil, des arceaux sous la toile lorsqu’ils sont  rattachés à deux rayons successifs par leurs extrémités ou pendent verticalement lorsque l’une de ces dernières s’est rompue, spontanément ou sous l’impact d’une proie volante (Fig.11).

 La toile de Pasilobus, longue d’environ 50 cm, a une charpente triangulaire, un moyeu totalement excentré à l’apex, un unique radius axial et, de ce fait, seulement deux secteurs traversés par quelques fils en pont (Fig.12). L’ Araignée Pasilobus sp., étudiée en Nouvelle Guinée (Morobe District) par les Robinson  (Robinson & Robinson, 1975), construit cet édifice de nuit sur les arbustes et les petits arbres. Plus ou moins horizontal, cet édifice a une charpente triangulaire divisée en deux moitiés par un fil médian tendu de l’ angle apical au milieu de la base, ainsi divisée. De ce fil axial pendent de 4 à 11paires de fils en “pont” largement espacés. Seuls constituants adhésifs de la toile, ils sont visqueux dans une partie seulement de leur longueur,  solidement fixés au seul niveau de leur


Toile Pasilobus
Fig. 12 - Pasilobus sp., toile.
C, charpente - M, moyeu - P, fil gluant en pont - R, radius - S, secteur. L' araignée hale un Lépidoptère (L) avec le fil en pont qu'a détaché cette proie.
Schéma d'après Robinson & Robinson.

jonction avec le fil médian mais, en revanche, sont facilement rompus à leur insertion sur le fil de charpente latéral ("lowshear joint").

La toile de Paraplectana, telle que P. tsushimensis (Chigira,1978), d’un diamètre moyen de 70 cm, a une charpente plus ou moins incomplète, un moyeu très excentré, 4 à 7 radii et des fils en pont dans les secteurs plus ou moins ouverts qu’ils délimitent (Fig.13).

Toile Paraplectana
Fig.13 -Paraplectana tsushimensis, toile.
C, charpente - M, moyeu - P, fil gluant en pont - Pd, fil gluant détaché à une extrémité - R, radius - S, secteur.
Schéma d'après Chigira

 

 

La toile de Poecilopachys australasia (Clyne,1973), d’environ 80 cm de diamètre,  montre également une charpente triangulaire, mais il s’y inscrit une ébauche d’orbe à moyeu excentrique, 7 à 12 radii, une dizaine de secteurs  et jusqu’à un maximum de 13 fils en pont dans ces derniers (Fig.14).

Toile Poecilopachys
Fig.14 - Poecilopachys australasia, toile.
C, charpente - M, moyeu - P, fil gluant en pont - R, radius - S, secteur.
Schéma d'après Clyne.

Lorsqu’un insecte vient à heurter un fil en pont de ces toiles, l’une des extrémités de ce fil, dite «joint de cisaillement» (“low-shear joint”) se libère du radius, tandis que l’autre lui reste fermement attachée (Cyrtarachne Arita, 1963; Poecilopachys Clyne, 1973Paraplectana Chigira, 1978Pasilobus Robinson, 1980Cyrtarachne Shinkai, 1992)(Fig.8).  Cette caractéristique différencie nettement les fils en pont  des spires de toiles orbiculaires habituelles qui sont attachés fermement aux radii et ne s’en détachent point par rupture. Le caractère gluant du fil en pont est lié aux gouttelettes visqueuses qui y sont fixées et retiennent la proie jusqu’à ce que l’ araignée la hale vers elle (Fig.4). Dans le cas de Pasilobus, lorsqu’un Insecte heurte un «pont» en volant(Fig.12), ce dernier se rompt et pend au-dessous de la toile, attachant  ainsi au fil médian la proie qui continue à voler en tournoyant et finit par s’immobiliser. L’araignée se précipite vers l’attache le long du fil axial, hale le fil en “pont” et mord enfin l’ insecte englué sur ce dernier (Robinson,1980)   


4-1-b - Tribu des Mastophorini
Apparemment bien différente est l’industrie séricigène des Mastophorini, qu'elles
produisent ou non des "bolas" , curieux dispositifs gluants de capture ainsi nommés car rappelant ceux qu'utilisent les "gauchos" d' Amérique latine pour immobiliser leur bétail.

4-1-b-1-Genres à bolas

Il s'agit des taxons  Mastophora (Amérique), Cladomelea et Acantharachne (Afrique),  Ordgarius ou Dicrostichus (Australie) dont la toile captrice est extraordinairement réduite à un « bola »,  fil terminé ou garni par une ou plusieurs masse(s) visqueuses alors superposées que l’ araignée femelle fait tourner au bout de l’une de ses pattes lorsque s’approche, de nuit, une proie volante (Eberhard, 1980 ; Shinkai & Shinkai,2002 ;  Blackledge et al., 2011).

Whirligig
Fig.15 - Montage photographique montrant la manipulation d'un bola par tournoiement

Chacun de ces genres diffère des autres par sa tactique de manipulation du bola, tenu avec une patte qui le projette vers la proie parvenue à portée : patte I chez Mastophora et Agatostichus, patte II chez Dicrostichus (Longman1922 ; Mac.Keown,1952) avec tournoiement à l'approche de la victime et patte III chez Cladomelea où la rotation est permanente (Akerman, 1923).

4-1-b-2 - Genres sans bolas

A l’extrême, les Araignées femelles de deux autres genres de la même tribu, Celaenia et Taczanowskia (Amérique) ne tissent aucun piège et capturent directement les Insectes avec leurs pattes étendues (McKeown, 1952; Eberhard, 1981; Forster and Forster, 1999). Ici encore, un attractif sémiochimique doit  être utilisé par ces Araignées, d’autant plus quelorsqu’elles sont jeunes, leurs proies consistent aussi en Psychodidae  (Forster and Forster, 1999).


4 -2 Points communs


4-2-a - Suspension de la proie


.En fait, bien que les structures des pièges diffèrent grandement, il existe des similitudes frappantes entre une proie suspendue à un fil en pont rompu et ballant (Fig.16- 1,2) et celle qui a été prise à la « volée » avec un bola (Fig.16 -3 et Fig.17)



Mastophora et sa proie
Toiles cyrtarachninae
Fig.17 - Mastophora cornigera, bola (fil seul visible) et proie Fig.16  Cyrtarachninae : toiles.

1,Cyrtarachne,sp - 2, Pasilobus - 3, Mastophora.sp.

 4-2-b - Adhésivité

L’ adhésivité des gouttelettes de fils en pont et du globule de bola est extrême. Cependant, chez Cyrtarachne, elle décroîtrait en quelques heures jusqu’à  devenir nulle (Cartan et Miyashita, 2000), sauf dans des conditions de forte humidité où elle reste élevée (Baba et al., 2014). Il en serait de  même pour les “énormes” globules de bolas qui diminuent trés sensiblement de taille en seulement  90 minutes (Eberhard, 1980),  réduction d’adhésivité  non observée dans les toiles orbiculaires des autres Araneidae.

4-2-c - Attraction des  proies par mimétisme chimique  phéromonal agressif

Les “Bolas spiders” ont un autre caractère unique dans le fait que leurs femelles adultes attirent exclusivement des Lépidoptères nocturnes, tous mâles, en émettant une sustance chimique volatile véhiculée par l’air (Stowe et al., 1987; Yeargan, 1994) selon un mécanisme connu comme mimétisme sexuel phéromonal. En revanche, les males et les juvéniles n’attirent pas des Lépidoptères mais des Diptères Psychodidae, également mâles (Yeargan and Quate,1996,1997).

A l’extrême, les Araignées femelles de deux autres genres de la même sous-famille, Celaenia etTaczanowskia (Fig.18 )(Amérique) ne tissent aucun piège et capturent directement leurs proies, toujours des Lépidoptères nocturnes mâles(Stowe, 1986), avec leurs pattes étendues, ces dernières armées d'une "herse" de soies (McKeown, 1952; Eberhard, 1981; Forster and Forster, 1999). Ici encore, un mimétisme chimique agressif phéromonal doit  être utilisé par ces Araignées, d’autant plus que lorsqu ’elles sont jeunes, leurs proies consistent aussi en Psychodidae (Forster and Forster, 1999).

Tackzanowskia
Fig.18 - Taczanowskia trilobata, de face. Soies sur les pattes antérieures ravisseuses
D'après PBertner


 5 -  Support  anatomique

La structure ou, à l'inverse, l'absence de piège, et l'attraction des proies trouvent une explication logique révélée par la seule histologie de l' opisthosoma, débité en coupes sériées (C.H) respectivement dans les glandes séricigènes et dans l'existence d'un organe particulier remarquable, le tissu folliculaire endocrinoïde abdominal (Fig.19,20,21), tel que Lopez l'a décrit pour la première fois chez les Mastophora.

Il l'a retrouvé ensuite, toujours par étude histologique, chez Celaenia, membre des Mastophorini  et Poecilopachys, une représentante des Cyrtarachnini (Lopez,1998).


Mastophora NB 1
Mastophora NB 2
Fig.19 - Mastophora cornigera, femelle : coupe trés partielle d'abdomen
Fig.20 -  La même : autre coupe, plus grossie.
GGlande séricigène agrégée (Ag) avec son canal excréteur (C) et tissu endocrinoide (E) (A.Lopez,C.H.)


Mastophora 28
Fig. 21 - Mastophora cornigera, femelle adulte. Détails  du tissu endocrinoïde.
N, noyaux des cellules endocrinoïdes disposées en ilôts juxtaposés  - V, vaisseau. Les flèches désignent des cavités centrant certains ilôts (©A.Lopez, C.H.)



Le même auteur (Lopez,1998) a montré que les glandes à soie agrégées sont absentes lorsque l'Araignée Mastophorine Celaenia qui ne construit aucune toile et n'élabore pas de glue. L'absence de cette catégorie de glandes séricigène est d'ailleurs une caractéristique d'autres Araneidae (CyrtophoraMecynogea) (Lopez,1982,1988) dont la toile de capture est dépourvue de tout matériel gluant dans son orbe modifiée.en réfection

En revanche, les agrégées sont particulièrement bien développées dans les genres Mastophora (Fig.19,20) et Poecilopachys qui produisent une grande quantité de matériel gluant (Fig.22).

Poecilopachys séricigène 2
Fig.22 - Poecilopachys australasia femelle: tissu folliculaire endocrinoïde (E) et glandes à soie agrégées (Ag.) (A.Lopez,C.H.)



6 - Histoire phylogénétique   

Elle est ardue et a débuté avec le travail original de Simon (1892).

Les Cyrtarachninae constituent  un groupe sous-familial d’ araignées dans la famille des Araneidae (Araignées dites «à toile orbiculaire»). Ce groupe a été traité de différentes manières, au prix de remaniements oiseux.

Il est apparu initialement sous le nom de  Cyrtarachneae (Simon, 1892) incluant 5 genres,  à savoir ParaplectanaAranoethra, Pasilobus, Cyrtarachne et Poecilopachys. En cette occasion, Simon créa aussi le groupe des Glyptocranieae, incluant les genres Agatostichus (reconnu encore par Gertsch en 1955 mais aujourd’hui rattaché à Mastophora), Glyptocranium (traité de même), Cladomelea et  Ordgarius (ex  Dicrostichus)(Eberhard,1982). De même,  il plaça deux genres, Celaenia and Taczanowskia dans le groupe des Celaenieae. Les trois groupes ainsi créés, Cyrtarachneae, Mastophoreae, Celaenieae, furent traités comme des tribus, à savoir les Cyrtarachnini, Mastophorini and Celaeniini.

Les dénominations ont ensuite varié, la plus large, celle des Cyrtarachninae sensu lato (s.l.), renfermait les trois groupes originaux de Simon, y compris, bien qu’à priori incongrues dans cette place, les araignées à bolas (tribu des Mastophoreae de Mello-Leitão,1931). Emerit (1977) considéra à tort les deux premiers excavata comme des sous-familles, les Cyrtarachninae et les Mastophorinae. Plus tard,  Eberhard (1980, 1982)dans des études comportementales montra que les trois groupes de Simon partageaient bien des caractéristiques communes  et: pouvaient être réunis.

Plus récemment, une analyse phylogénétique de la famille  des Araneidae a été publiée par Scharff & Coddington (1997). Ces auteurs ont rapproché les divers genres de deux  groupes de Simon, Cyrtarachneae et Mastophoreae, les considérant comme monophylétiques, donc étroitement apparentés («sisters») et les combinant dans la  sous-famille des Cyrtarachninae, en excluant toutefois la totalité des Celaenieae. Ils soulignent que la sous-famille a une biologie assez cohérente,  une tendance marquée à la réduction de la toile  et une évolution compensatrice du mimétisme chimique agressif.

Plus près de nous encore,Tanikawa et al. (2014) par une étude de phylogénie moleculaire ardue, puis Scharff  & al. (2020) ont infirmé cette conception qui ne s’accorde pas avec les relations évolutives déduites antérieurement. D’une part, les Araignées à toiles triangulaires (Pasilobus) doivent rester incluses dans le groupe confectionnant des “ spanning-thread webs », sous l’étiquette de « clade C ». D’autre part, les espèces utilisant des bolas et celles qui ne construisent aucun piège forment un groupe monophylétique complétement séparé du précédent en tant que « clade B » descendant d’un ancêtre commun (Tanikawa et al.,2014).

L'évolution darwinienne faisant loi, y compris sur le plan de l'anatomie interne, il se pourrait bien, in fine,   que selon une conception de A.Lopez, à confirmer ou non par des recherches histologiques ultérieures, seules valables en ce genre de détection et si elles sont réalisées un jour (???), il existe un lien anatomique original (synapomorphie), caractère dérivé, entre tous les représentants des Cyrtarachninae: l'existence d'un tissu endocrinoïde abdominal, démontrée dans deux genres de Mastophorini (MastophoraCelaenia)(Fig.14) et jusqu'ici ,2022-malheureusement !- un seul genre (Poecilopachys) chez les Cyrtarachnini (Fig.15) à explorer globalement sur le plan de l'anatomie interne, en commençant par l'unique espèce française connue : Cyrtarachne ixo(do)ides.


7 -  Biogéographie

La richesse en Araignées à bolas est la plus élevée dans le Nouveau Monde, avec 51 espèces de Mastophora, incluant Agatostichus , contre une seule espèce connue de Cyrtarachne.

En Afrique, les Araignées à bolas ne sont représentées que par les genres Cladomelea et Acantharachne.

En Asie sensu lato, il n’y  aurait en revanche que 11 espèces du genre australien Ordgarius ou Dicrostichus contrastant avec la richesse en «spanning-thread web spiders» connues seulement (Platnick, 2014) dans cette partie du monde. Parmi elles, 43 espèces de Cyrtarachne.

Cela suggère une origine américaine du clade à bolas ou sans toile,  et une origine asiatique du clade à fils en pont («spanning threads»). La  diversification de l’ ancêtre commun en ces deux clades peut être survenue en association avec leur division geographique.

Les details de la phylogéographie restent à préciser.


Note 1
: Une fois de plus, nous retrouvons là à regret le caractère superficiel de telles études et affirmations plus ou moins gratuites où l’auteur "dérape" moins par absence de moyens techniques (
d’autant plus qu’il est souvent universitaire
et peut demander l’assistance d’un laboratoire de microscopie voisin) que par manque de curiosité réelle et méconnaissance complète,  même chez un connaisseur, ce que peut apporter l’ histologie systématique, moyen d’investigation pionnière incomparable  négligé aujourd'hui  encore (2022) plus que jamais....

8 - Bibliographie


Akerman, C. , 1923 - A comparison of the habits of a South African spider, Cladomelea, with those of an Australian Dicrostichus. Ann. Natal Mus. 5: 83–88.

Baba, YG, Kusahara, M, Maezono, Y & T. Miyashita, 2014 - Adjustment of web-building initiation to high humidity: a constraint by humidity-dependent thread stickiness in the spider Cyrtarachne. Naturwissenschaften 101, p. 587–593.
 

Blackledge, TA, Kuntner, & M. Agnarsson,
2011 - The Form and Function of Spider Orb Webs: Evolution from Silk to Ecosystems.  In Casas, J. (ed.) Advances in Insect Physiology, Vol. 41, Academic Press, Burlington, p.175–262,‎

Cartan, CK & T.Miyashita, 2000 -  Extraordinary web and silk properties of Cyrtarachne (Araneae, Araneidae): a possible link between orb-webs and bolas. Biol J Linn Soc 71, p.219–235.

Chigira,Y. (1978) - A note of the web of Paraplectana tsushimensis. Atypus, 72, p.19–24

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Eberhard ,WG., 1981 - Notes on the natural history of Tackzanowskia sp.
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Emerit,M.,1977 - Cyrtarachne ixodoides, une araignée rare
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