Glandes
péri-buccales
(maxillo-labiales)
ANATOMIE ET COMPORTEMENT DES ARAIGNEES : VINGT-CINQ ANS DE RECHERCHES (version 2023) Par André LOPEZ, auteur |
Les
glandes péri-buccales ou maxillo-labiales des Araignées
sont des
organes sécréteurs localisés à la surface
des lames maxillaires et
de la lèvre inférieure.
|
Désignées par Legendre (1953)
sous le nom de “plages
glandulaires hypodermiques”, elles se présentent comme des
épaississements
tégumentaires localisés dans
l'épiderme (dit souvent
à tort "hypoderme") des lames
maxillaires ou
gnathocoxes et de la lèvre
inférieure ou labium
dans le genre Tegenaria
que l'auteur montpelliérain a choisi
pour leur étude. Elles ne doivent pas être confondues avec
les glandes gnathocoxales
ou "salivaires" sous-jacentes (fig.1).
Ces
épaississements ont un
aspect en “bourrelet “ ou en “coussinet” dans les coupes histologiques
;
ils s’y montrent constitués par de longues cellules
épithéliales prismatiques se disposant en
“palissade” et
recouvertes par une cuticule d’aspect
strié (Fig.1,2).
Les cellules
sont pourvues de noyaux
oblongs, tous
situés au même niveau, et montrent un cytoplasme plus ou
moins granuleux, vacuolaire (Fig.2), avec parfois des inclusions
jaunâtres, et dont l'aspect évoque une activité
glandulaire sans toutefois permettre de l'affirmer à un
grossissement modéré. Les pôles apicaux sont
pourvus d'une bordure "en brosse",
faisceaux vraisemblables
de microvillosités ou microvilli
.
Fig.1 - Araniella
cucurbitina mâle
:
lame maxillaire ou gnathocoxe, vue partielle.C,
cuticule - E, épithélium glandulaire - Gn, glandes
"salivaires"
gnathocoxales - M, muscle - S, cavité sous-cuticulaire - V,
vaisseau. (©A.Lopez,
C.H.) |
Fig.2 - Araniella
cucurbitina mâle :
épithélium glandulaire buccal, détail. C,
cuticule - Gn, glande "salivaire" gnathocoxale - Mv, faisceaux de
microvilli présumées -
N, noyaux -
S, cavité sous-cuticulaire (©A.Lopez, C.H.) |
Nous avons
réalisé les premières études
ultrastructurales du tégument gnathocoxo-labial jamais
effectuées (Lopez,1980
; Lopez,1993)
utilisant comme matériel Leptoneta microphthalma Simon (Leptonetidae : grottes
pyrénéennes) et
surtout, Wendilgarda
mustelina arnouxi Lopez
& Emerit (Theridiosomatidae : Guadeloupe).
L’aspect
ultrastructural est celui d’un épiderme
sécréteur que surmonte un revêtement cuticulaire modifié.
Il est formé
par des cellules toutes semblables,
présentant des
caractères
d’adénocytes mais dépourvues de canalicules
excréteurs
comme celles de la glande rostrale. De ce
fait, il ne comporte
pas d’unités
glandulaires structurées
contrairement à la glande acronale ou clypéale.
L’adénocyte
est allongé et étroit.
Son pôle
basal est découpé par
des invaginations du plasmalemme en fines languettes rappelant quelque peu des
prolongements
ou protrusions
interdigitées de podocytes rénaux de Vertébrés (capsule de Bowman).
Il repose sur une lamina
continue, finement granulaire, pouvant être plaquée
contre
celle des acini gnathocoxaux (“ glandes salivaires ”).
Son pôle
apical est fortement convexe et
garni, sur
toute sa surface, de microvillosités
petites, irrégulières,
enchevêtrées, renfermant des microfilaments
et s’accolant, par place à celles d’adénocytes voisins
; elles bordent un espace
extracellulaire séparant les adénocytes
de la cuticule sus-jacente
ou s’accolent
à cette dernière (Fig.4). .
Les faces latérales sont à peu près planes, ne s’engrènent pas les unes dans les autres et remontent beaucoup moins haut que le sommet du pôle apical. Elles sont réunies entre elles par de petites jonctions.
Le noyau ovoïde siège dans le tiers basal de
la cellule, contient un petit nucléole central
d’aspect réticulé et une chromatine
assez abondante, disposée en mottes irrégulières
s’accolant à l’enveloppe
nucléaire ou
disséminées dans le nucléoplasme.
Fig.3 - Wendilgarda
mustelina arnouxi :
adénocytes
buccaux. Cs, partie de cellule sécrétrice
(adénocyte) - g, grain de sécrétion - m,
microvillosités |
Fig.4 - Wendilgarda
mustelina arnouxi :
adénocytes buccaux (autre vue) et cuticule.cs, partie de cellule
sécrétrice -
cu, cuticule - e.s, espace sous-cuticulaire - g, grain de
sécrétion - m,
microvillosités en saillie dans l'espace sous-cuticulaire |
Les
organites
subcellulaires (Fig.3,4) sont
des
mitochondries longues et
flexueuses, des ribosomes
libres,
des rosettes de glycogène
et surtout, un
réticulum endoplasmique lisse
extrêmement dense ainsi que
des vésicules.
Ces dernières semblent prendre naissance à partir du
réticulum lisse
dilaté mais pourraient être aussi des
éléments golgiens. Chez Leptoneta,
elles nous ont paru arrondies, isolées
ou confluentes, dépourvues de sécrétion ou
contenant un matériel opaque marginal. En revanche, chez Wendilgarda, elles se présentent comme des grains
de sécrétion
nombreux, de contour irrégulier,
plus ou moins anguleux et adoptent même parfois une forme en
plaquette ou en bâtonnet. La membrane
qui les délimite est fine et nettement dessinée. Le
contenu du grain est un
matériel peu dense, s’accolant à cette membrane et
formant des lamelles
superposées en piles plus ou moins disjointes. Il semble que les
grains s’ouvrent parfois les
uns dans
les autres et libèrent leur contenu dans l’espace
extracellulaire.
Ce dernier forme une
cavité très réduite s’interposant entre la
cuticule
(cavité
sous-cuticulaire) et les pôles
apicaux des adénocytes qu’elle
sépare également les uns des autres jusqu’à la
hauteur des jonctions et a un
contenu de même densité que celui des grains de
sécrétion.
Elle est ajourée par un
ensemble
de fenestrations nombreuses responsables
de son aspect “strié” dans les coupes histologiques. Ces
fenestrations correspondent
à des canaux
poraires
(pores-canaux) assez mal limités
chez Leptoneta, plus nets chez Wendilgarda, irréguliers,
à peu prés
parallèles mais plus ou moins ramifiés. Ils ne s’ouvrent
pas directement à l’extérieur, semblent buter contre l’épicuticule et se résolvent, pour
la traverser, en
un faisceau de canalicules
extrêmement
grêles (15 nm) ("wax
channels”). Leur contenu est identique à celui de l’espace
extracellulaire (cavité
sous-cuticulaire).
Fig.5
- Wendilgarda
mustelina arnouxi : cuticule buccale.
c.e, canalicules épicuticulaires - cp,
canal poraire - cu, cuticule (©A.Lopez, M.E.T.). |
4.a.-
Sur
le plan anatomique,
l’étude ultrastructurale des coussinets “hypodermiques”
gnathocoxaux montre qu’il s’agit bien de glandes
tégumentaires.
L’opinion de Legendre (1953)
basée sur la seule histologie et
selon laquelle leurs “ cellules épithéliales
présentent tous les caractères de cellules glandulaires
exocrines ”se trouve ainsi confirmée.
De plus,
ces
mêmes éléments,
recouverts par la cuticule comme
des cellules
“ hypodermiques” banales, peuvent être rattachés
aux glandes
tégumentaires arthropodiennes de type 1 telles
que Noirot
et Quennedey (1974) les ont définies
chez les Insectes : l’adénocyte
est recouvert par la cuticule et sa
sécrétion doit
traverser cette barrière pour
être émise à l’extérieur. Ce
phénomène n'est rendu possible que par l'existence du
dispositif évacuateur des canaux poraires décrits chez
les Crustacés décapodes par Jeuniaux & al. (1986) qui
leur préfèrent la terminologie "canalicules ou canaux
intracuticulaires", à structure hélicoïdale dans ce groupe et
surtout dans celui des Insectes
(
Fig.6 - Adénocyte d'une
glande de classe 1 : B,
pôle basal - C,
cuticule - D, dictyosome (Golgi)- L, lysosome - M, mitochondrie - N,
noyau - P, plasmalemmes et jonctions - R, réticulum
- V, microvillosités. |
Cette
sécrétion semble
élaborée par le réticulum
endoplasmique lisse . Toutefois, on
sait par ailleurs que dans de nombreuses glandes exocrines d’Insectes
(salivaires, dermiques, annexes du tractus génital), l’ appareil de Golgi, non
disposé en dictyosomes,
paraît uniquement formé de vésicules. Il en est
probablement de même pour les glandes
péribuccales
où les amas vésiculaires
marqueraient
l’emplacement de réseaux
transgolgiens. La
sécrétion y est concrétée
en
lamelles chez Wendilgarda
mustelina arnouxi, peut
être aussi chez Leptoneta
où l’aspect
différent des vésicules
ne traduirait qu’un autre stade
du même processus sécrétoire.
Quoi qu’il en soit,
elle est très
différente des grains de
pigment ou de guanine.
De plus,
l’abondance du réticulum
lisse suggère que des lipides
en forment au
moins une partie. Comme souligné plus haut, elle est
émise à l’extérieur par
les canaux poraires
et les
canalicules
épicuticulaires.
Au
point de vue ultrastructural, les glandes des
maxillae et du labium s’apparentent donc à l’organe
rostral dont les
adénocytes
possèdent, eux aussi, un réticulum
lisse abondant.
4.b.- Sur le plan
fonctionnel, leur
sécrétion pourrait jouer un rôle de lubrifiant dans
des zones soumises aux frottements comme Legendre (1953)
l’avait déjà
envisagé chez les Tegenaria.
Elle pourrait
intervenir
aussi dans le nettoyage de la cavité buccale, dans la digestion
extra-orale mais en aucun cas comme “ coussinet amortisseur ”
(Legendre,1953), le cytosquelette
des adénocytes
étant trop peu
développé, encore moins comme “ organe
olfactif ”, hypothèse de Dahl en 1885 !.
Bibliographie
Jeuniaux
, Ch.,
Compère,P. & G.Goffinet,1986 -
Structure,synthèse et dégradation des
chitinoprotéines de la cuticule des Crustacés
décapodes. Italian
Journal of
Zoology, 53,2, p.183-196.
Legendre,R., 1953. –
Recherches sur les glandes
prosomatiques des Araignées du genre Tegenaria. Ann. Univ.
sarav.Sci 2, 4, p.
305-333.
Lopez,
A (avec M.Emerit), 1978 – Le dimorphisme sexuel
gnathocoxal de Leptoneta microphthalma
Simon
(Araneae, Leptonetidae). Rev. Arachnol.,
(1), p. 1-15.
Lopez,
A. (avec M. Emerit), 1985. - Wendilgarda
mustelina arnouxi n.
ssp et la glande
labio-sternale des Theridiosomatidae (Araneae). Mémoires de
Biospéologie 12, p.
67–76.
Lopez,A.(avec L. Juberthie-Jupeau),
1993 - Ultrastructure
des glandes labio-sternales et péri-buccales chez Wendilgarda
mustelina arnouxi
Lopez
& Emerit (Araneae,
Theriiosomatidae).
Rev.Arachnol.,
10 (4), 1993, p.75-92.
Noirot,
Ch. & A.Quennedey, 1974.-
Ann.Rev.Entomol.,19, p.61-80.
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