HISTOPATHOLOGIE
DE L' OREILLE MOYENNE (CAISSE DU
TYMPAN)
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LE CHOLESTEATOME ET SES LESIONS ASSOCIEES
Dr. ANDRE
LOPEZ,
histologiste,
médecin anatomo-pathologiste
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Sommaire
5- Lésions ossiculaires
(associées ou non à un cholestéatome)
5.1- Matériel et techniques
5.2- Osselets normaux
5.3- Osselets pathologiques
5.3.1 - Remaniements structuraux ossiculaires
5.3.2- Pénétration de tissus
"étrangers".
5.1- Matériel et techniques
Jusqu'ici, l'étude des lésions microscopiques d'
osselets est
souvent dominée et plus ou moins masquée par des
recherches associées sur la paroi osseuse de l'oreille moyenne
("os temporal") et (ou) sur des modèles animaux (Cobaye,
Gerbille). Les modifications histologiques etr ultrastructurales sont
peu documentées sur la base de séries humaines
ossiculaires "pures" (Grippaudo, 958 : 55 osselets ; Thomsen & al.,
1974 : 12 enclumes ; Sadé & Berco,1974 : 80 osselets).
Il est important de
souligner déjà que les lésions
présentées ci-dessous ne sont pas, dans tous les cas
cliniques, associées à un
cholestéatome. Leur étude histologique a
été pratiquée sur un total beaucoup plus important
de 284
osselets, soit 156
marteaux et 128
enclumes,
prov
enant de 171 patients (110 hommes, 61
femmes), agés de 4 à 74 ans. Ces osselets ont
été prélevés lors de tympanoplasties pour cholestéatome, poche de rétraction, épidermose (157 cas), beaucoup plus
rarement lors de révisions de caisse ou du traitement
d'autres états pathologiques (
otite
moyenne adhésive,
tympanosclérose)
(14 cas).
Nous ne pouvons donc
établir de différence dans la
destruction osseuse qu'elle accompagne ou non une
invasion épidermique de l'
oreille moyenne. Le processus inflammatoire de
l'
otite chronique moyenne y apparait
comme led seul dénominateur commun (Sadé & al.,
1980) de sorte que les lésions seront décrites sans tenir
compte du
cholestéatome, lorsqu'il
coexiste.
Dans tous les cas
notre matériel,
osselets et
tissus voisins, a été décalcifié par le
mélange DC3 de
Labonord et traité ensuite comme dans les
prélèvements
ne
comportant que du
cholestéatome et ses lésions associées : fixation ; inclusion ;
coupes sériées ; colorations
par des méthodes courantes, à visée
histochimique ou centrées sur divers marquages
cytoimmunologiques.
5.2- Osselets
normaux
30
osselets
présentaient une structure normale malgré l'
otite chronique moyenne adjacente, ce qui
souligne l'intervention probable de nombreux facteurs dans la
destruction osseuse (Sadé & al.,1981). Leur surface
était uniformément lisse, si l'on excepté quelques
"dépressions" sur l'enclume.
Les
espaces
périvasculaires, en continuité avec le
stroma de la
muqueuse,
et les
cavités
médullaires centrales n'étaient pas
élargis, seulement occupés par un
tissu
conjonctif peu abondant avec quelques
adipocytes. L'
os périosté
et
endochondral adjacent montrait des
systèmes haversiens bien formés
et non
modifiés.
5.3- Osselets pathologiques
254
osselets étaient lésés,
avec une nette prédominance pour l'
enclume que pourraient expliquer sa
structure ajourée particulière ("cancellous"), un apport
sanguin plus exposé et peut être aussi l'absence de
revêtement cartilagineux. Le rôle
des
globuli interossei dans la
pathologie ossiculaire nécessiterait des recherches plus
poussées.
Connus depuis les travaux de Manasse (1897),
ces derniers sont considérés
comme des vestiges de cartilage embryonnaire
ou immature siégeant dans la couche
moyenne, dite endochondrale,
de la capsule otique et peuvent se
rencontrer aussi dans les osselets
où ils présentent la même structure histologique
Ils sont bien reconnaissables à leurs
grosses cellules arrondies, d’aspect
chondrocytaire, réunies en îlots que séparent des
lacunes polycycliques (Fig.1 à 4). Leur
transformation en os ne serait pas due à une métaplasie
des chondrocytes mais plutôt
à des cellules spéciales entourant les capillaires sanguins, envahissant les lacunes,
devenant des ostéoblastes puis des ostéocytes
et produisant la matrice de l’os.
On
sait également que les globuli
interossei peuvent être à l’origine de foyers
d’otospongiose.
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Fig.
1- Globuli interossei dans un marteau.
Homme, 17 ans.
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Fig.2
- Même cas, détail
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Cs,
capillaire sanguin et cellules périvasculaires ; Gi, globuli interossei et leurs lacunes
; O, os ossiculaire . Flèches : chondrocytes bien
reconnaissables.
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Fig.3-
Globuli interossei dans
un marteau. Garçon, 6 ans.
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Fig.4
- Même cas, détail
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Cs,
cellules périvasculaires ; Gi, globuli
interossei et leurs lacunes ; O, os ossiculaire;
Oy,ostéocytes . Flèches : chondrocytes bien
reconnaissables.
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5.3.1- Remaniements structuraux de l'os.
Les modifications
affectaient la surface ossiculaire, la profondeur ou les deux, leur
aspect variant inexplicablement de l'enclume
au marteau dans une même oreille et
souvent aussi d'une partie à l'autre du même osselet.
Le tissu osseux
haversien était plus ou moins largement
résorbé dans une majorité d'osselets (90 %), en
surface, juste au-dessous des tissus environnants, et aussi en
profondeur, tout autour des espaces
péri-vasculaires.
Lorsque l'os
était tapissé en surface par l'épithélium malpighien d'un cholestéatome , il pouvait ne pas
affecter ce dernier (Fig.5), le soulever (Fig.6)
ou même le transpercer ldans le cas d'une
ostéolyse particulièrement intense (Fig.12).
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Fig.5-
Cholestéatome recouvrant un osselet hyperhémique
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Fig.6
- Epithélium d'un cholestéatome soulevé par
l'osselet (flèche)
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Cs,
capillaire sanguin ; E, épithélium malpighien du
cholestéatome ; Gi, cellules inflammatoires ; K, kératine
; O, os ; S, stroma ; Sp, espace périvasculaire
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Une
reconstruction évidente par ostéogénèse
lamellaire et (ou) membraneuse était fréquemment
associée avec la destruction osseuse, créant ainsi des
aspects en
"mosaïque" (Fig.12).
Nous avons observé
2 fois une
nécrose basophile,
lésion rare comme dans la série de Grippaudo (1958). (
Fig.7).
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Fig.
7- Nécrose basophile et fibrose. Homme, 48 ans.
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Même
cas, détail de la nécrose dans une autre coupe
histologique
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Ad,
adipocytes ; Cs, capillaires sanguins ; Fd, fibrose dense ; Fl, fibrose
lâche ; N, nécrose ; O, os
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Les
espaces étaient irrégulièrement élargis
(90 %) et semblaient englober parfois des
globuli interossei qui
pourraient les avoir fragilisés. Bordés par des
travées osseuses plus ou moins
déchiquetées, ils montraient un
tissu
conjonctif abondant, en continuité avec le
stroma de surface (
muqueuse
de caisse ou
cholestéatome),
une dilatation marquée des
capillaires
sanguins (
congestion ou
hyperhémie : 58 %) (Fig.5) et de petits
infiltrats inflammatoires non
spécifiques à "
cellules rondes"
(lymphocytes, plasmocytes,histiocytes) formant souvent autour d'eux des
"
manchons"
périvasculaires
(
Fig.8).
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Fig.
8- Espace péri-vasculaire : hyperhémie
et "manchon"inflammatoire. |
Fig.9-
Infiltrat inflammatoire trés
étendu et ostéolyse.
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Cs,
capillaires sanguins ; Gi, cellules
inflammatoires groupées densément ; O, os ossiculaire
(lysé
:Fig.9 ) ; Vs, vaisseau sanguin de plus grande taille
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Nous avons rarement
observé (15 osselets) un
infiltrat
inflammatoire beaucoup plus dense et étendu, polymorphe,
avec des polynucléaires, occupant largement les
espaces périvasculaires (15 osselets),
réalisant une véritable
ostéite
(
Fig.9 à
12) et pouvant correspondre
à la lésion que quelques auteurs tels que Sadé et
al.
(1981) considérent comme une
ostéomyélite
résorbante.
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Fig.10-
Ostéomyélite affectant deux osselets. Homme, 77 ans.
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Fig.
11- Même cas. Infiltrat inflammatoire massif, avec
ostéolyse intense.
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Ar,
articulation incudo-maléaire ; Ci, infiltrats de cellules
inflammatoires (Fig.11) ; Ec, enclume ; Mt, marteau ; O, travées
osseuses en résorbtion. Flèches (Fig.11) :
infiltrats
inflammatoires.
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Chez l'un des patients,
HIV + (
Fig.12 à
14) les délabrements de
l'os étaient tels qu'il s'en était
détaché des
séquestres
(
Fig.13), l'un d'eux
transperçant même l'
épithélium
malpighien du
cholestéatome sus-jacent.
(
Fig.14).
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Fig.12
-Cholestéatome et
Ostéite intense. Homme, 47 ans.
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Fig.13
- Cholestéatome, ostéite intense, sequestres dans
l'infiltrat. Même cas.
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Cs,
capillaires sanguins ; E,
épithélium du cholestéatome ;
Gi, cellules inflammatoires groupées densément ;
K, kératine ; O, os ; S, stroma ; Sq, séquestres
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Fig.14
-Même cas : séquestre osseux transperçant
l'épithélium
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E,
épithélium du cholestéatome ;
Gi, cellules inflammatoires groupées densément ;
K, kératine ; O, os ; Sq, séquestres
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Un véritable
tissu de granulation tel que l'ont
défini Gantz et al.(1979) n'a été observé
que 2 fois, à la surface des
osselets
en résorbtion mais jamais dans
leur profondeur. En revanche, nous avons relevé un
granulome mixte et quatre cas de
granulomes à kératine logé
dans des
espaces périvasculaires largement
ouverts. Englobant des
squames cornées,et
(ou) des dépôts cholestéroliques leurs
cellules géantes (
symplasmes) étaient
séparées par des
fibroblastes de
l'os érodé adjacent (
Fig.15,
16). Un
granulome gigantocellulaire de nature
indéterminée a été également
observé (
Fig.17)
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Fig.
15- Granulome à kératine
logé dans un osselet
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Fig.16
- Granulome mixte logé dans
un osselet
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Fb,
fibroblastes ; Gc, granulome à
cholestérol ; Gk, granulome à kératine ; O, os
lysé.
Flèche : lamelles de kératine incluse
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Fig.17 - Granulome giganto-cellulaire indéterminé
enfoui dans un osselet
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Cg, cellules
géantes (symplasmes); O, os lysé ; Sp, espace
péri-vasculaire
; Vs, vaisseau .
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Il est à
souligner que le
tissu conjonctif remplissant
les
espaces est souvent lâche, d'
aspect oedémateux, constitué par
une sustance fondamentale trés claire (
Fig.18,19), par des
fibres collagènes que mettent en
évidence les colorations trichromiques (
Fig.22), et par
des
fibroblastes, ces derniers
plus ou moins groupés autour des
vaisseaux
sanguins ou près de l'
os,
l'ensemble constituant une
fibrose plus
ou
moins dense (
Fig.7, 20 à
22).
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Fig.18-
Espaces périvasculaires à tissu
conjonctif oedémateux, ostéolyse.
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Fig19
- Espaces périvasculaires à tissu
conjonctif oedémateux, ostéolyse.
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Cs
ou Vs, capillaires ; De, conjonctif trés oedémateux
; E, épithélium malpighien d'un cholestéatome ;
K, kératine ; O, os lysé (surtout dans la zone
fléchée); Sp, espaces péri-vasculaires à
conjonctif oedémateux.
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Fig.20
- Fibrose des espaces peri-vasculaires, ostéolyse, "mosaïque".
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Fig.
21- Fibrose des espaces
péri-vasculaires, ostéolyse
trés marquée.
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Ci,
infiltrat inflammatoire ; Cr, cartilage ossiculaire ; Fd, fibrose dense
; Fl, fibrose lâche ; O,
os.
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Fig. 22- Fibrose des espaces péri-vasculaires :
collagène (trichrome). |
Fd, fibrose dense ;
Fl, fibrose lâche ; O, os ; Vs, vaisseaux sanguins dilatés.
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Ces cellules sont
marquées par leur vimentine mais peuvent aussi exprimer l'actine
musculaire lisse, indice d'une possible différenciation en
myofibroblastes. Fait remarquable, elles sont
susceptibles de proliférer densément comme Harris (1962)
l'a observé dans du "matériel osseux temporal" et des
osselets. Dans 5 des cas observés, la prolifération
était même si active qu'un véritable tissu
"fibromateux" agressif en faisceaux détruisait l'os sur une
grande étendue (
Fig.23)
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Fig.23 - Fibromatose agressive intra-ossiculaire
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Ci, infiltrat
cellulaire inflammatoire ; Fb, faisceaux de fibroblastes ; O, os ; Vs,
vaisseau
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5.3.2.- Pénétration de
tissus "étrangers"
L'invasion
ossiculaire par des tissus extraosseux ("étrangers") provenant
de l'oreille moyenne est facilitée
non seulement par l'ostéolyse mais
aussi, et surtout, par la continuité existant entre le
stroma de la caisse
ou du cholestéatome et les espaces péri-vasculaires (Fig24).
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Fig. 24- Rapports
entre la muqueuse de caisse et un osselet qu'elle englobe
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Ad, adipocytes ; Ec,
épithélium de caisse ; O, os ; S, stroma ; Sp, espace
péri-vasculaire ; Vs, vaisseau sanguin
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5.3.2.a - Epithélium de
caisse
Nous n'avons jamais
rencontré d'épithélium
malpighien cholestéatomateux
inclus.
En
revanche, des
structures glanduliformes
ou
pseudo-glandes étaient
présentes dans les
espaces
péri-vasculaires de 50
osselets
(
Fig. 25 à
31). Décrites pour la
première fois par Sadé (1972), ces cryptes sont issues de
l'
épithélium de caisse
hyperplasié (
otite moyenne simple)
ou des
pseud-glandes provenant de ce
même
épithélium et
associées au
cholestéatome.Leur
épithélium simple est plus ou moins aplati. Leur
lumière peut renfermer des histiocytes, des cellules
desquamées (
Fig.25,
26), ainsi que du mucus (
Fig.27
à
29), colorable par le bleu
alcian (
Fig.27).
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Fig.25 - Pseudo-glande dans un espace
péri-vasculaire d'osselet
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Cs, capillaire ; G, pseudo-glande ; O, tissu osseux ; Tc,
conjonctif péri-vasculaire
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Fig.26
- Pseudo-glande pénétrant
dans l'osselet sous-jacent
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Fig.27
- Autre pseudo-glande
pénétrant dans l'osselet sous-jacent (bleu alcian).
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G,
pseudo-glande ; M, mucus ; O, tissu
osseux ; S, stroma ; Sp, espace péri-vasculaire; Vs, vaisseau
sanguin.
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Fig.28
- Pseudo-glande dans un osselet que
recouvre un cholestéatome
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Fig.29
- Même pseudo-glande :
détail
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E, épithélium
cholestéatomateux ; G, pseudo-glande
; M, mucus ; O, tissu osseux ; S, stroma ; Sp, espace
péri-vasculaire.
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Elles subissaient
parfois une distension kystique, au point même d'occuper la quasi
totalité de l'espace péri-vasculaire
.Dans l'un de nos cas,
elles se moulaient sur l'os adjacent et paraissaient ainsi
"ballonisées" (Fig. 30, 31).
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Fig.
30- Pseudo-glande kystique occupant
tout un espace péri-vasculaire.
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Fig.
31 - Pseudo-glande kystique intra-ossiculaire,
vue partielle.
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Ec,
épithélium de caisse ; G, pseudo-glande
; O, tissu osseux ; S, stroma ; Sp, espace péri-vasculaire.
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5.3.2.b- Tissu nerveux
Dans le cas exceptionnel
de névrome de caisse, des filets
nerveux occupaient le stroma du cholestéatome
et pénétraient aussi dans l'osselet sous-jacent
fragilisé. Ils en empruntaient les espaces, s'y
enchevêtrant avec des capillaires sanguins (Fig.32,
33).
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Fig.
32 - Névrome associé
à un cholestéatome et
pénétrant dans un osselet
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Fig.
33 - Même névrome dans la
profondeur de l'osselet
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E,
épithélium malpighien ; K, kératine ; N,
névrome ; O, os ossiculaire
; S, stroma conjonctif ; Vs, vaisseau sanguin
|
Couleurs
conventionnelles (textes) : en bleu-vert,
termes d'anatomie macroscopique et d' histologie normales ; en
kaki, termes désignant toutes les
structures ayant une signification pathologique, qu'elle
qu'en soit l'origine ou la nature
A LA
MEMOIRE DU Dr.JEAN CAUSSE - Clinique Causse, 34440 Colombiers |