L'ANAGYRE
FÉTIDE OU « BOIS PUANT »
(FABACÉES) : UN
ARBUSTE MYSTÉRIEUX (Version 2024)
par André Lopez, auteur |
et sont présentées plus bas.
Couleurs
conventionnelles :
En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,,
noms génériques et spécifiques ; en vert, noms de familles et sous-familles ;
en bleu clair, groupes de rangs supérieurs ; en marron, noms vernaculaires,
pas linnéens ; en kaki, noms biologiques, chimiques et médicinaux ; en orange,, parties les plus importantes et
résumés
|
I-Introduction
II-Botanique et Biologie
1 -Etymologie
2-Systématique
3-Aire géographique
4 -Situation locale
5 -Description botanique
6 -Biologie
7 -Chimie et toxicité
III -Utilisations passée et actuelle
IV-Commentaires
8 -Biologie
et cycle
vital
9 -Origine
géographique sur le plan mondial
10 -Distribution
géographique en Occitanie
11 -Origine sur le plan
loco-régional
11a - Introduction humaine
11b -Spontanéité
11c - Théorie "mixte"
V- Conclusion
La
colline d’Ensérune, située sur la commune de Nissan, est
bien connue pour son grand intérêt
historico-archéologique. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle
abrite une flore abondante et diversifiée que dominent deux
plantes rares, appartenant à la grande famille des Fabacées (ex Légumineuses) 1 de valeur patrimoniale et dites
«déterminantes» 2 , au point de
les avoir rattachées à la ZNIEFF 3
n° 0000 -3060 : l’ Astragale de Narbonne,
Astragalus
alopecuroides L.
et
l’ Anagyre fétide, Anagyris foetida L. ou "Bois puant" Entrant dans le cadre d’une
distribution circum-méditerranéenne pourtant
étendue, elles se singularisent par leur localisation restreinte
et, en ce qui concerne l’Anagyre, ayant
donné lieu ici comme ailleurs à des hypothèses
inattendues sur son origine, l’une d’elles rejoignant le domaine de l’
Histoire.
Avant
d’aborder le cas d’ Anagyris
foetida, sujet essentiel de la note, étudié
à Ensérune et, comparativement, au Roc du Cayla
(Roquessels), donc encore en Biterrois, rappelons brièvement
pour mémoire et du fait de sa beauté qu’ Astragalus alopecuroides 4 est aussi une plante méditerranéenne, propre
au sud-ouest de l'Europe (France,
Espagne)
et au nord-ouest de l'Afrique (Maroc,
Algérie).
Dans le Biterrois, il en existe deux populations : l’une à
Ensérune (Fig.1) et l’autre,
comme Ephedra
(Lopez,2019), sur les collines de Nissan.
|
Fig. 1 - Astragale de
Narbonne, garrigue d' Ensérune |
http://faune-flore-languedocienne.alwaysdata.net/garrigue/Plantes_rares.html#Astragalus_alopecuroides |
II - Présentation botanique
et biologique
Elle est curieuse et peut préter à
confusion. Officialisé en 1753 par Carl von Linné, le nom
générique Anagyris dérive du latin anagyros
et du grec anaguris
(Ἀνάγυρις
ou ἀνάγυρος),
soit
gyrus avec le préfixe ana, ce
qui signifie
littéralement
«toupie qui se retourne» mais désigne,
en fait, pour le public, un objet de tout autre
nature 5. Le savant
naturaliste suédois,
fondateur de la nomenclature binominale a du retenir les termes
antiques désignant la plante bien que pour certains, un
tel nom ait
plutôt fait allusion, dans
son esprit,
soit à un effet désagréable sur l’organisme humain
et (ou) animal, au sens d’une «
plante qui retourne l'estomac», soit à la forme parfois incurvée du
fruit, ce qui est improbable.
En tant que Fabacée
1
et Faboidée, l’ Anagyre
appartient à la tribu des Thermopsideae
et apparait ainsi comme «exotique»,
selon le qualificatif de
Martins (1869). En effet, ce groupe
taxonomique particulier est considéré comme originaire d’
Asie centrale et du plateau de Qinghai-Xizang
(Ming-Li & al., 2015) et en aurait divergé dans le reste de
l’ Asie,
sur tout le pourtour méditerranéen et jusqu’en
Amérique du Nord. Outre Anagyris, il ne
compte que 5 autres genres : Thermopsis, est-asiatique,
se rapprochant le plus du précédent, Baptisia et
Pickeringia
(USA), Piptanthus
(Asie tropicale) et Ammopiptanthus
(déserts d’Asie centrale). Il n’existe dans le Monde qu’une
seule autre espèce du genre concerné : l’Anagyre à
feuilles larges, Anagyris
latifolia Brouss.ex.Wild (Fig.2), connu seulement des Canaries
occidentales, dont Gran Canaria et Ténérife,
île remarquable pour ses innombrables plantes endémiques.
|
Fig.2 - Anagyris latifolia
Brouss.ex.Wild, fleurs et feuilles d'après http://www.floradecanarias.com/anagyris_latifolia.html |
3 - Aire géographique
Elle
couvre quasiment tout le bassin méditerranéen avec l’Asie
occidentale, le Moyen Orient (dont l’ Arabie, le Yemen) et l’ Europe
méditerranéenne, de la Grèce à l’ Espagne,
totalité des îles comprise
dont la Corse. En ce qui nous concerne, la distribution inclue presque tout le sud de la France, sur coteaux arides et
dans les garrigues, depuis les
Alpes-Maritimes jusqu’aux Pyrénées orientales, s’y
limitant toutefois partout à des localités très
clairsemées, en «ilôts».
L’ Anagyre est installé au pied du versant sud de la colline d’ Ensérune, en contrebas du Musée, dans un repli grossièrement triangulaire des terrains molassiques et marneux locaux du Miocène 7 (Fig.3a et b, Fig.4) se présentant en amont comme un ravin anfractueux que prolonge un profond fossé (Fig.4), et en aval, s’étalant en surface subhorizontale qu’occupe une pelouse à Brachypodes 8 (Fig.3a à 3c) . Les autres arbustes notables sont le Nerprun alaterne et la Filaire à feuilles étroites (Fig.3b) ainsi que quelques Lauriers en bout de ravin dont on ne peut préciser s'ils ont été importés ou, ce qui serait trés intéressant , de nature spontanée.
Fig.3 a - Pelouse à Brachypodes vue du Sud. | Fig.3 b - Pelouse à Brachypodes vue
du Nord. |
A, emplacement des plus grands Anagyres - E, plateau et Musée d'Ensérune - F, fossé - O, oliveraie - P, pelouse à Brachypodes - R, ravin - T, talus oriental. | A, Anagyre isolé - Filaire à feuilles étroites - N, Nerprun alaterne - P, pelouse |
Fig.3 c - Vue plongeante de l'est, du haut
du talus oriental. |
C, Canal du Midi - F, fossé -G,
garrigue -
O, oliveraie - P, pelouse à Brachypodes - T, sommet du talus
oriental |
Fig.4 - Petit pied isolé dans les
Brachypodes |
La
population se réduit en tout et pour tout à
une douzaine de pieds 9, dont un de petite
taille (Fig.
4),
les plus
grands
groupés dans le ravin et un trés éloigné
sur le
grand talus oriental, prés d'un mur (Fig.). Elle est distante
d’environ 500 m de celle
d’Astragalus, située
aussi à flanc de colline, également en garrigue appauvrie
mais, plus vers
l’ouest, au delà d’oliveraies
interposées, donc indépendante et dans un autre biotope.
Signalons, d’une part, que l’ Anagyre a
échappé de peu à un incendie ayant ravagé
le sud de la colline en Juin 2021, d’autre part, que le ravin et le
talus oriental
renferment des blocs
de construction épars ou
ébauchant des murs, peut être d’origine romaine
(Fig.22,23), les
vestiges connus de cette période étant
précisément localisés sur le versant sud d’
Ensérune (Ugolini &
Olive, 1963).
|
|
Fig.5 - Anagyre
isolé dans la pelouse d' Ensérune. Mars 2024 |
Fig.6 - Anagyre isolé au Roc du
Cayla. En contrebas, plaine agricole (Scan du Bulletin) |
Fig.7 a
- Branches portant des feuille, des fleurs et un fruit. Ensérune, Mars 2024. |
Fig.7 b
- Branche portant des feuilles et des fleurs. Aspect de Genêt ou
de Cytise. Roc du Cayla (Scan du Bulletin)
|
Détails
trés partiels des précédents |
|
Fig.8 - Feuille avec ses trois folioles
caractéristiques différents de ceux de l'Anagyre à
feuilles larges (Fig.2) |
|
|
Fig.9 - Grappe de fleurs et feuilles
(Ensérune) |
Fig.10 - Fleur, détails
(Ensérune) |
La fructification est
sensée ne survenir qu’en mai. Toutefois, l’auteur
l’a déjà observée durant le mois
de Févier 2022 (Fig. 15) et une autre fois en Mars (Fig.16),
conséquences probables d’ Hivers de plus en plus chauds.
|
|
Fig.11 - Fruit (flèche) à la
mi-février 2022, avec des fleurs et des feuilles
(Ensérune) (Scan) |
Fig.12 - Deux fruits plus
évolués, en mars 2022, avec des fleurs et des
feuilles (Ensérune). |
Les fruits («fèves de
loup») sont de grosses gousses ou légumes de Fabacée, pendantes,
énormes car longues de 10 à 20 cm sur environ 2 cm de
large, donc disproportionnées par rapport aux fleurs, bosselées,
glabres, de couleur verte
(Fig.13) puis devenant fauve (Fig.14),
grossièrement ondulées sur les bords,parfois
torsadées et contenant de 3 à 8 grosses graines (Fig.15), coriaces
(«cartilagineuses»), rappelant un rein
(«réniformes») et de couleur variable : brun, vert-de-gris ou bleu violet améthyste (Fig.16).
|
|
Fig.13 - Groupe de gousses vertes sur
l'arbuste encore feuillé. Mois de Mai. |
Fig14 - Deux gousses mûres sur l'arbuste après la chûte des feuilles. En bas, à droite, Nerprun alaterne. Mois de Juin. |
|
|
Fig.15 - Deux gousses tombées
à terre, ouvertes et contenant encore des graines |
Fig.16 - Trois graines d' Anagyre
isolées, celle de gauche montrant son hile (trace du funicule
nourricier). |
Le mode de
végétation de l’ Anagyre est extraordinaire puisqu’il
commence à feuiller au mois
de novembre, fleurit en plein hiver où il est susceptible de
résister à la neige (Fig.17), même à de
fortes gelées, comme
l’a souligné Martins
(1877), peut amorcer sa fructification dès l’ hiver
(fig.15,16) comme souligné plus haut et
perd ses feuilles en
été à l'époque où ses fruits commencent à
mûrir (Fig.11).
|
Fig.17 - Floraison sous la neige à
Ensérune. Février 2010 |
Sa pollinisation est assurée par les Insectes (entomogamie) : Lépidoptères (Morosphinx, Macroglossa
stellatarum, observé au Roc du Cayla) et Hyménoptères (Bourdon terrestre, Bombus terrestris,
photographié dans la même station - Fig. 18-
et Xylocope, Xylocopa
violacea, vu à Ensérune).
|
Fig.18 - Bourdon terrestre butinant
des fleurs d' Anagyre. Roc du Cayla (photo Marcou) |
Sa dissémination est
«barochore», les
graines tombant au pied de la
plante par le simple effet de la pesanteur, donc à très
courte distance de sorte que de jeunes pieds peuvent être
observés sous l’arbuste mère, exceptionnels à
Ensérune mais par contre très nombreux au Cayla (Fig.19).
|
Fig.18 - Jeunes pieds
sous un
arbuste-mère. Roc du Cayla.(Scan) |
Les graines
ont une cuticule
épaisse et imperméable qui contrarie leur germination, mais garantit une
longue conservation.
|
Fig.20 - Structure de la molécule d' Anagyrine |
L'anagyrine est très
toxique aussi bien pour le bétail que pour l’homme, ses
organes cibles étant le tube digestif et
surtout, le système
nerveux (poison ganglionnaire et
bulbaire).
L’ingestion
de feuilles par le
bétail, rare
car l’odeur est dissuasive pour les Ovins et Bovins, provoque
des vomissements et une purgation violente 12, les
chèvres paraissant
seules résistantes (Turquie).
Celle des graines
par
un homme ayant confondu les légumes
d’ Anagyre avec des gousses de haricot ou consommé des
laitages caprins entraine un syndrome
neurotoxique
apparaissant en 4 à 5 heures : mydriase, excitation,
incoordination motrice et vertiges, associés à sudation,
salivation, convulsions, coliques, pouvant, dans les cas
sévères, aboutir au coma puis à la mort par
asphyxie.
La
toxicité n’est pas le propre des Thermopsideae mais se
retrouve dans de nombreux autres groupes de Fabaceae, ceux-là
alimentaires,
où l’ Anagyre
n’est d’ailleurs pas cité (Petit,2011).
III
-
Utilisations
passées et actuelles
L'A. foetida est connu depuis
longtemps, d’abord en Grèce,
donnant son nom au dème attique d’ Anagyronte
où il aurait abondé, inspirant Aristophane
(environ 400 ans av. J .-C), qui fait mention
de sa puanteur dans la comédie Lysistrata, et donnant
sujet
d’étude au médecin et botaniste Pedanius
Dioscoride
(in Περὶ ὕλης ἰατρικῆς,
De
Materia medica
3, 167)
pour les propriétés
vomitives et purgatives
des graines
et des feuilles. De son
côté, Pline l'Ancien le
décrit sous
le nom d’ Anagyros ou acopon (in Histoire naturelle : Livre
XXVII, XIII) : «L'anagyros, appelée par quelques-uns
acopos (délassante), est rameuse..»«Anagyros
quam alii acopon vocant fruticosa est… »..Suivent
une évocation d’ usages obstétricaux inattendus et de
caractères botaniques plus réalistes : l’«odeur forte», «la graine …
dans des cornets assez longs et de figure rénale… se durcit au
temps de la moisson (et)… mâchée, provoque le
vomissement. ». De plus, il est parfois fait
référence à l’Anagyre en tant que poison
de flèches depuis l’ Antiquité jusqu’au Moyen
age (Lieutaghi,2004 ; Vignes,2022), moins toutefois que l’ If (Taxus baccata d’où dérive, selon Pline, le
mot «toxica»)
Actuellement
en France, d’aucuns considérent l’ Anagyre comme une plante
médicinale non comestible, feuilles
et graines ayant des
effets émétique,
laxatif,
anti-helminthique, emménagogue,
spécifique pour les affections
rénales, peut être en souvenir du vieux
«principe des
signatures» (graine réniforme) et
même tonicardiaque.
Par ailleurs, des recherches récentes en laboratoire lui
attribuent un effet cytotoxique
antitumoral qui sera peut être exploité dans le
futur.
Au Maghreb, le «karrûb el klâb»
(«fûl el klâb»,«habbet grî»)
est
cité
par Bellakhdar & al. (1991), comme étant employé couramment
en médecine traditionnelle pour traiter les brûlures ou autres
«maux» d'estomac et aurait
même, selon des italiens, un intérêt
vétérinaire contre la gale des animaux domestiques.
De plus, l’ Anagyre
serait l’espèce arbustive la
plus consommée par les chèvres en Turquie après Quercus coccifera et Genista anatolica (Tölü
& al,2012), au prix, toutefois, d’une certaine toxicité des laitages.
L’étrange
précocité de la floraison
et de la chute des feuilles
montre, qu’à l’instar de
beaucoup de plantes de garrigue, dites xérophytes, l’ Anagyre
est également adapté à la chaleur et à la
sècheresse qu’elle subissent . Toutefois, et à sa
manière, il est le seul arbuste présentant un cycle de
vie aussi décalé et accéléré, lui
permettant d’entrer en dormance lors des premières ardeurs de
l’été, la chûte rapide des feuilles rappelant
quelque peu le cas du Baobab (Adansonia) qui, en Afrique, ne produit son
feuillage que durant les trois mois de la saison des pluies. Il illustre l'une des meilleures
stratégies de résistance à la sécheresse de
la flore méditerranéenne (Avsar et Ok, 2010).
Comme
observée à Ensérune et au Cayla, la pollinisation paraît
bien assurée, selon toute évidence, par des Insectes à longue trompe (entomogamie)(Fig.18) et non par
des oiseaux
(passeriformes tels que fauvettes
et pouillots) comme
l’affirme Vignes (2022), d’après
les arguments douteux que des chercheurs espagnols avancent en faveur
de cette ornithogamie 13. Le
même auteur toulonnais évoque en outre l’existence de deux
sous-espèces ou variétés génétiques
distinctes
concurrentes basée sur une corrélation entre la pigmentation
des fleurs et celle des graines.
En ce qui concerne ces dernières
soulignons qu’elles posent un sérieux problème :
celui du devenir de l’espèce. Les gousses s’entrouvrent à
peine de sorte que la libération des graines en est aléatoire. Leurs forme et dimensions
entraveraient l’enfouissement spontané dans le sol où
elles restent confinées près de la surface (Valtuena & al.,2008). En outre, leur cuticule coriace, à moins
d’être «scarifiée», est un obstacle à
la
germination. En
contrepartie, il semblerait qu’elles puissent rester
viables pendant au moins 1600 ans comme l’ont prouvé des
exemplaires contenus dans une poterie de site
archéologique turc (Ozgen &
al.,2012). Dans notre région, les graines, soumises à tant
d’aléas, ne sont libérées que par des causes
accidentelles extérieures en limitant la population comme, au roc du Cayla, un possible
passage de gyrobroyeur pourrait expliquer l’abondance trés
localisée des jeunes pieds (Fig.18) suite à son ouverture artificielle
de gousses.
9 - Origine géographique sur le plan mondial
Si
l’on fait abstraction des autres données botaniques,
suffisamment développées ci-dessus, un point
inattendu très curieux est l’origine géographique sensu
stricto de
l’Anagyre.
Au
tout début de la radiation évolutive darwinienne
(divergence
évolutive
à partir d'un ancêtre unique) dont
il résulte et en fonction des dernièresdonnées de
la biologie moléculaire (Ming-Li & al.,2015), l’ Anagyre
fétide serait apparu au Miocène (entre
8.2 ± 4.5Millions d’années), à partir de sa souche
de Thermopsideae.
Cette dernière serait
née elle même
à l’Eocène moyen (26,5 M.a) en Asie
extrême-orientale, plus précisément en Chine,
encore ce pays vedette, si l’on hasarde
ici un rapprochement audacieux avec l’origine présumée de
…la
Covid 19, d’ailleurs toujours discutable (Lopez,2022). La
répartition d’ Anagyris serait liée
à la disjonction continentale sous climat
méditerranéen, dite
«madréo-téthysienne» et aurait rang de
«relicte» tertiaire, en fait relique 14,
dans le cadre d’une «végétation sèche et
sclérophylle à feuilles
larges» («Tertiary dry broadleaf evergreen
sclerophyllous vegetation» : Wen
& Ickert-Bond, 2009).
L’
Anagyre s’y situe dans
l’ Etage mésoméditerranéen 15,
se
rencontrant ici et là, sur des coteaux rocheux et arides, en
pleine garrigue calciphile, surchauffée l’été,
exceptionnellement en maquis, sur sols siliceux (Valmagne) ou
naturalisé dans les jardins. Le
SINP 3 de référence l’évoque
dans13-14 communes d’ Occitanie, sa première observation datant
de 1733. Selon
les ZNIEFF 3 , plus restrictives, « il n'est
présent en France que dans la plaine languedocienne, dans moins
de dix communes et dans toute la région provençale»
dont, en tête, «sur la montagne percée de
Nissan près de Béziers»(Martins,1869).
Cette Colline
de l’ Oppidum d’ Ensérune (ZNIEFF
de type I, n° 0000-3060, p.2/5) , "percée"
en fait par les trois tunnels du Canal du Midi, de la voie
ferrée SNCF et "des moines", est citée d’emblée
dans «Wikipédia»
où l'on se borne seulement à évoquer l’existence
d’ autres stations : «L'anagyre …. est une plante
méditerranéenne
…. qui se retrouve, de nos jours, sur l'oppidum d' Ensérune
dans l' Hérault.... ».Toutefois,
il existe dans
le Biterrois même une
deuxième population, beaucoup plus importante qu’à
Ensérune, et qui
trouve donc ici sa place, ne serait-ce qu’à titre comparatif : le Roc du Cayla
«situé
dans les garrigues au nord de la ville de Béziers. … sur
la commune de Roquessels, constitué
d'un
petit promontoire rocheux isolé au sein d'une petite plaine
agricole
en bordure de la vallée de la Thongue…(Fig.21), abrite des
plantes
déterminantes
2…dont l'Anagyre
fétide» (ZNIEFFde type
I,n°0000-3105) (Gord
& al.,1991).
|
Fig.21- Roc du Cayla
échancré par
une carrière et entouré de vignobles. Vue d'ensemble
(Scan). |
Pour mémoire, signalons que du côté de Montpellier,
l’ Anagyre est
présent sur la Gardiole, à son
extrêmité nord-est dans les Garrigues de la Lauze et, dans
la «Plaine de
Villeveyrac-Montagnac», sur la «Falaise de l’abbaye de
Valmagne», cette fois une zone schisteuse et à
végétation de type maquis.
Plus
loin vers l’ ouest,mais toujours en Occitanie, l’ Anagyre est connu dans l’
Aude
de la commune de Fitou, enfin, dans les Pyrénées orientales
à
Cases
de Pène, la vallée de Valmanya et à Collioure
(colline du Fort Saint-Elme,
falaises du Racou). Curieusement, il n’existerait pas dans le
massif de la Clape (Aude), pourtant d’une diversité floristique
exceptionnelle.
A l’opposé, on retrouve l’ Anagyre vers l’ est, en Provence : dans les Bouches du Rhone avec ses stations classiques de Montmajour , du Castellet et de
Cordes près des ruines et en garrigue arborée; dans le Var, aux Gorges d’Ollioules et du Destel, à l’emplacement d’un ancien point de guet, aux stations
de la Farlède et du Mont Combe-Coudon, autour du Fort Sainte Marguerite et au Mont Faron dans la région toulonnaise; enfin sur la colline du Château
de Nice où il est considéré comme «exotique».
11 - Son origine
sur le plan loco-régional
Ici
se pose le mystère particulièrement irritant d’un rapport
avec l’Homme.Trois
théories, une l’affirmant,
la seconde l’éludant et une troisième, de moyen
terme,
« mixte », conciliant les
précédentes,
peuvent être
évoquées.
L'Anagyre
aurait été importé et mis en place
artificiellement.
Toujours selon "Wikipédia", "L'anagyre <de l'oppidum
d'Ensérune>
…. est …. d'origine probablement grecque…
Des pollens
ont été trouvés
sur ce plateau. Ils datent du IIIe siècle av.
J.-C". Selon un particulier, président des
«Amis de Nissan», que l'auteur a rencontré par
hasard sur le versant sud d' Ensérune, des graines auraient
été importées accidentellement dans des amphores
hellènes. Un rapport du même ordre est établi par
Harant et Jarry 16.
Tout autant d’affirmations gratuites car aucune source
sérieuse n’en apporte la preuve. Inlassablement,d’autres
témoignages établissent
eux aussi une relation anthropique. Dans la ZNIEFF «Roc du Cayla
»,
il est mentionné que l’«arbuste …affectionnant
plutôt
les lieux abandonnés par l'Homme
<est>généralement présent à
proximité des anciens chemins et des vieilles ruines»(du
Néolithique au premier siècle, selon Ugolini &
Olive,2013) et, dans celle de «la Lauze», qu’il
se
rencontre en garrigues anciennement fréquentées par
l'homme". A Valmagne, sur le versant sud, «de nombreux murets
témoignent d’une ancienne activité agricole». A
propos de la Provence, il
est écrit que «Dans les taillis de Chêne vert de
Montmajour, du Castellet et de Cordes, le Bois puant est abondamment
naturalisé depuis au moins 1545». Il croît aussi
dans les ruines et une relation
est même évoquée avec les moines
bénédictins de l’ abbaye. Par ailleurs, un intervenant
fait ainsi la synthèse d’autres opinions du même
ordre : «C'est un très rare
arbuste des coteaux rocailleux et des falaises maritimes
méditerranéennes. Il y pousse étonnamment dans ou
à proximité des forts et des châteaux. On veut
croire à ce propos qu'il fut autrefois planté par les
militaires en poste pour ses vertus toxiques et aurait servi comme
poison (pour flèches?)».
Selon,
Ch. Martins (1869,1877), au sens duquel l’auteur
de ces est tenté d'adhérer, du moins partiellement, l’
Anagyre fétide
serait une
espèce tertiaire (cénozoïque) ayant survécu
à l'époque glaciaire dans le midi de la France, cela
uniquement dans quelques localités privilégiées,
donc spontanée 17 et relique 14,
mais qui s’est maintenue partout ailleurs
dans le reste du bassin méditerranéen (Espagne,
Italie,Grèce, Moyen Orient, Maghreb).
Ainsi pourrait-on le rapprocher d'autres taxons exotiques ayant connu
pareilles
ambiance et évolution, tels que le
Palmier
nain (Chamaerops humilis),
survivant en Provence, peut être
à
la
Clape (Aude), le Myrte (Myrtus
communis) présent encore aujourd’hui dans ce
même massif où l'Anagyre semble
malheureusement
manquer,
et celui de la Gardiole (Hérault), ainsi que
le Caroubier (Ceratonia siliqua),
le Laurier-d'Apollon (Laurus
nobilis) croissant d'ailleurs près des Anagyres
d'Ensérune et le
Laurier-Rose
(Nerium
oleander). En revanche, aucun lien du même ordre ne peut
être établi présentement avec la « Queue
de renard » 4, (Fig.1)
deuxième Fabacée «vedette»
d’Ensérune
dont le devenir après l’incendie nous échappe encore.
Non évoquée jusqu’ici par d’autres auteurs, elle associe
une présence
spontanée préexistente de l’arbuste et la survenue
ultérieure
d’une installation humaine depuis l’ Antiquité - que
suggèreraient
sur Ensérune, les vestiges
signalés plus haut à
proximité
des pieds (Fig.22,23) et présentés ci-dessous -
jusqu’au Moyen Age.
Fig.22 - Mur dans le ravin d'
Ensérune, près des Anagyres. |
Fig.23 - Murs dans le talus oriental d'
Ensérune, près d'un Anagyre isolé |
Entretenu
in situ et peut être propagé dans les
limites de sa germination
difficile, Anagyris
foetida aurait pu être, au mieux, une source de fourrage riche en proteines pour
les chèvres, et
utilisé aussi pour traiter leurs
problèmes gastro-intestinaux comme, de nos jours, en
Algérie (Akbag, 2021).
L’utilisation
de broyats de graines pour
empoisonner la pointe des flèches est
purement
spéculative.
Pour
clore cet article d’inspirations naturaliste et médicale, le dernier travail d'
André Lopez pour la Société archéologique
de Béziers, l’Anagyre fétide serait
donc,
comme les taxons précédents, une espèce
fondamentalement relique et non
« relicte » comme l’écrivent
divers auteurs 14, ayant appartenu à la
végétation dite « sclérophylle
sèche du Tertiaire »du moins en France
méridionale,
y compris , bien
sûr, dans
le Biterrois. Après avoir connu une extension
spontanée beaucoup plus vaste à l’échelle
géologique, l’extraordinaire Fabacée Anagyris foetida se circonscrit aujourd’hui à
de petites stations isolées, vestiges de populations ayant
souvent subi une pression anthropique (élagage) mais où
des conditions locales protectrices non élucidées
assurent sa survie. A Ensérune toutefois, il est à
craindre que la station ne tende à se détériorer :
bien qu'encore trés fleuri, l'un des pieds principaux était
à moitié desséché au début Mars
2024 (Fig.24).
Fig.24 |
Il
n’est d’ailleurs pas exclu que dans une certaine mesure, l’Homme ait
parfois facilité cette dernière, de nos jours par souci
« écologique » pour la conservation d’une plante rare d’intérêt
patrimonial, perdant de sa variabilité génétique,
ainsi exposée à l’extinction et, dans le passé, pour en tirer un
éventuel profit, pastoral, thérapeutique ou
même stratégique dans des lieux propices à la
défense, avec possible emploi des
graines comme poison de
flèches. En fait, de tels usages
resteront
à jamais sujets à caution et énigmatiques.
NOTES
1- Les Fabaceae
ou Légumineuses sont l'une des plus importantes familles de plantes
à fleurs par le nombre d'espèces (19 500,
d’herbacées à arborescentes. Elles ont des fleurs dites
Papilionacées 6, des fruits appelés
gousses ou « légumes », et,
d’intérêt économique primordial avec les
Graminées, constituent une source de protéines
végétales indispensables pour l'alimentation humaine et
animale.
2- Les espèces
dites déterminantes sont
retenues par
certaines méthodes d'inventaire
naturaliste et d'évaluation environnementale, comme remarquables
pour la biodiversité, ou menacées et jugées
importantes
pour l'état de l'écosystème ou
particulièrement
représentatives d'un habitat naturel.
3- Le sigle ZNIEFF désigne, en
France, une zone naturelle d'intérêt écologique,
faunistique et
floristique, espace inventorié en raison de son caractère
remarquable,
et dont il existe deux types : type I,occurrence
d’écosystèmes et d’espèces remarquables,
généralement sur une surface réduite ; type
II, écocomplexes et paysages remarquables,
généralement étendus sur des surfaces plus vastes.Le SINP, «Système d'Information sur la
Nature et les Paysages») est une autre structure française
nationale qui recense et rassemble les dispositifs d'observations
concernant la nature et les paysages français (patrimoine
géologique inclu).
4- Astragalus
alopecuroides (encore appelée
Astragale queue de renard, Queue de renard d'Espagne) est une
herbacée imposante )(50 cm à 1 mètre) (fig.
1),velue-laineuse, blanchâtre, à tiges dressées
simples, épaisses, et à feuilles composées
montrant 20 à 40 paires de folioles
elliptiques-lancéolées. Les fleurs (mois de
Juin-Juillet)sont papilionacées 6, typiques
d’une Fabacée 1, jaune pâle,
assez grandes (18-20 mm), très nombreuses et forment de grosses
grappes ovoïdes superposées, serrées, subsessiles
(fig.1). Elles ont un calice renflé, velu, persistant, et un
étendard6 le
dépassant de peu. Les gousses 6
sont incluses, dressées, ovoïdes, laineuses, à 2-4
graines. Comme l’ Anagyre, l’ Astragale queue de renard, pourrait
être d’origine orientale (Asie centrale), par
l’intermédiaire, dans les Alpes, d’une espèce
voisine : Astragalus
alopecurus.....
5-
L’Anagyre ("rattleback" en anglais) est un petit jouet
(«toupie») de forme ellipsoïdale (en gros,
celle d’ un
cigare) possédant un unique sens naturel de rotation du à
sa structure interne hétérogène. S'il est
lancé dans le sens contraire, il ralentit , se met à
osciller, puis change ce sens de rotation.
6- Les fleurs papilionacées (du
latin : papilio,
-onis, « papillon ») sont ainsi
nommées car leur corolle
caractéristique évoque effectivement la forme d'un papillon.
Singularisant la plupart des espèces de Fabaceae 1, elles présentent une symétrie
bilatérale et se
composent de cinq pétales
inégaux. Appelé «étendard», le grand pétale
supérieur, unique et vertical, embrasse par sa base cylindrique
les deux pétales latéraux ou «ailes» qui,
à leur tour, entourent une paire de pétales plus
petits constituant une structure en forme de carène
de bateau.
Cette dernière renferme
les organes floraux essentiels pour la reproduction : l'androcée
(étamines) et le gynécée (pistil). Le fruit
qui en
résulte est une gousse ou légume.
7-Précédé par l'Oligocène,
aujourd’hui rattaché à sa partie inférieure et
suivi par le Pliocène, le Miocène
est la quatrième époque de l'ère tertiaire ou Cénozoïque
s'étendant de 23,03 ± 0,05 à 5,332 ± 0,005
millions d'années.Parmi ses terrains caractéristiques, les molasses sont souvent des grès
à ciment de calcaire argileux.
8- Encore appelé «Pelouse
méditerranéenne», il s’agit d’un faciès de
garrigue très ouvert, sur sol maigre, caractérisé
par une végétation rase
où prédomine largement le Brachypode rameux, dit
aussi "baouque" en occitan ou herbe-à-moutons. Il est
parsemé d’autres herbacées, de sous-arbrisseaux (Thym,
Badasse,Rouvet) et d’arbustes
(fig.2,3).
9 -
Il est à noter que des plantations
d’Anagyris auraient ont eu lieu
près de l’accueil du Musée, à titre ornemental ou
de curiosité mais ne sont pas prises en compte
dans ce maigre dénombrement.
10-
Parmi
les descriptions
outrancières, voici, au hasard, celle d’un anonyme :
« …d’une beauté un peu
inquiétante avec ses fleurs qui semblent hésiter entre le
vert et le jaune, l’étendard qui porte
la marque brutale d'une peau de panthère comme certaines
créatures de Poe, cette plante exhale un charme cruel auquel le
naturaliste trop esthète qui signe ces pages avoue ne pas rester
insensible. Mais il ne faut pas l'approcher trop près ! Une
odeur vireuse à senteur d'un
caoutchouc brûlé sur des brassées de
Jusquiame… ».
11- Les Acaloïdes, qui portent une terminaison en «-ine», sont des molécules à bases azotées, le plus souvent hétérocycliques, c’est à dire constituées de séries d’atomes différents (en général carbone et azote), dérivant le plus souvent d’acides aminés et très majoritairement d'origine végétale.
12- En outre, du moins en
Amérique du
Nord avec les Lupins et Thermopsis,
l’ anagyrine provoquer
chez le veau nouveau-né
un syndrome
tératogène, connu
en anglais sous le nom de crooked calf disease (maladie
du veau
difforme) apparaîssant lorsque la vache a
ingéré une quantité critique de toxique à certains
stades de la gestation.
13 - L'ornithogamie, pollinisation
par les oiseaux, fréquente sous les tropiques, serait, chez Anagyris le premier cas
européen connu. A. Ortega‐Olivencia & al.,2005vironmental Science. Oikos, vol. 110, nº 3, 2005, pp. 578-590.
14- On
parle d'espèce
relique ou de population
relique pour
désigner une espèce ou la population d'une espèce
qui sont survivantes d'une époque différente ou d'une
répartition plus large, à la suite de changements de
conditions climatiques. En revanche, une relicte -qualificatif trop
souvent utilisé, à tort, pour l’ Anagyre - est une
espèce vivante que l’on croyait éteinte mais
qui s’avère
exister encore de nos jours dans des niches
écologiques restreintes. Les deux
termes sont néanmoins applicables à l’ Ephedra (A.Lopez, 2019).
15- S’inscrivant dans la disposition étagée de la
végétation en bandes parallèles superposées
au flanc des reliefs, l’étage
mésoméditerranéen est typiquement sous
climat de ce type, avec une sécheresse estivale accusée
d’au minimum 2 mois (critère retenu classiquement pour
définir un climat méditerranéen).C’est le pays du
Chêne vert, Quercus
ilex L. et du Chêne kermès, Quercus coccifera L.,
par excellence, et plus généralement, le pays des
garrigues.
16- Selon H.Harant et D.Jarry, qui ont insuffisamment développé le cas
étrange d’ Anagyris
dans leur «Guide du Naturaliste dans le midi de la France, II
(Delachaux & Niestlé ed., 1967)», «Le site
archéologique <d’ Ensérune> a été
découvert par Félix Mouret…grâce à
l’ Anagyre qu’il avait
appris à connaître en
Gréce(p.332)». En fait, le dit site fut découvert par A.Ginièis, curé de Montady,
et E.Sabatier (1854,1860), avant que le « riche amateur de
Béziers » ne l’achète en 1915 ( in
Ugolini et Olive, 2013) et…
fasse «déplacer»
les légitimes propriétaires qui durent se reconvertir
en…riziculteurs (d’après une conférence à la
S.A.S.L. de Béziers, Médiathèque André
Malraux).
17
- En écologie, la flore spontanée est
définie comme celle «qui pousse naturellement, sans intervention humaine, qu’elle soit
indigène ou non, et qui maintient ainsi un processus naturel de
colonisation». Elle s’oppose ainsi à la flore
plantée et cultivée dont le développement est
dépendant de l'homme.
BIBLIOGRAPHIE
Akbag, H.
I,2021-
Potential nutritive value of Anagyris foetida
shrub for goats. Agroforestry Systems
95(1), p.191-200.
RETOUR
|