ANATOMIE  DES  ARAIGNEES  :
 VINGT-CINQ  ANS  DE  RECHERCHES  




Appareil venimeux des Araignées

       
       Nos connaissances anatomiques sur l' appareil venimeux des Araneides sont étroitement liées à une étude fondamentale de Millot (1931) concernant quelques 107 espèces (29 familles), métropolitaines et tropicales,  qu'il a étudiées par dissection, sous le contrôle de la loupe binoculaire, et par la méthode des coupes histologiques sériées. J'ai utilisé aussi cette dernière technique irremplaçable dans mes propres recherches sur d' autres organes et appareils.
       Avant Millot, de rares auteurs n'en avaient qu'effleuré la structure  microscopique, se limitant le plus souvent à l'examen des chélicères et à la mensuration des glandes dont le venin et sa toxicité étaient en revanche mieux étudiés (Phisalix,1912,1922 ; Levy,1916)

1 - Anatomie générale

        L'appareil venimeux des Araignées est situé tout entier dans le prosoma ou céphalothorax, y adoptant une disposition paire et symétrique. Chacune de ses deux parties se compose d'une glande à venin, occupant la partie antérieure du tagme, remontant plus ou moins loin vers l'arrière suivant les espèces, et d'un dispositif vulnérant inoculateur, la chélicère  qui fait partie de l'ensemble des appendices. Si cette dernière est constante dans la totalité de l'ordre, partie des Chélicérates, en revanche, la glande venimeuse semble faire totalement défaut chez les Araignées Uloboridae, même à l'état vestigial (Millot,1931), cette absence étant un caractère familial apparemment unique.

1.1.- Chélicère
1.2.- Glande
      
Elle comporte deux parties, en général bien distinctes : un corps sacciforme, sécrétant, et un canal excréteur allant déboucher dans le crochet chélicérien, non loin de son extrêmité.
       Classiquement chez les Aranéides, la glande à venin est tubuleuse simple, occupant la base des chélicères et remontant plus ou moins loin en arrière, dans la partie dorsale du céphalothorax, au dessus de la masse nerveuse ganglionnaire.


Glande venin Dictyna
Glande venin Micrommata
Fig. - Dictyna sp. : coupe parasagittale du prosoma.L'une des glandes à venin
Fig. - Micrommata sp. : coupe parasagittale du prosoma.Les deux glandes à venin
B, bouche ; Cd, cuticule dorsale ; D, canal excréteur ; E, épithélium et sécrétions ; Es, endosternite ; Gn, gnathocoxe ; Gv, glande (s) à venin ; I, intestin ; L, lumière ; M, muscles extrinsèques ; N, masse nerveuse centrale ; S, sinus sanguin ; So, ganglions sous-oesophagiens ;

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       A l'inverse, le corps peut présenter un développement considérable, au point d'occuper une  partie importante du céphalothorax et présente alors une forme  "aberrante" 
avec  "exubérance glandulaire" (Millot,1931,1935).
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         Chez un Plectreurinien d' Amérique du Nord, Plectreurys tristis, la glande a des dimensions particulièrement exceptionnelles, une forme ramifiée et multilobée, une profusion de prolongements en lacis dans tout le céphalothorax,  autour de la masse nerveuse qu'elle entoure presque complètement, contre le plastron sternal, dans le labium, en avant jusqu'au niveau des yeux et, en arrière, presqu'au pédicule (Millot,1935)(Schéma 1)


Plectreurys
Schéma 1 - Plectreurys tristis : coupe parasagittale du prosoma (d'après J.Millot, 1935)
En jaune, glande venimeuse ramifiée et mutilobée. Gn, gnathocoxe ; L, lèvre inférieure ; N, ganglions nerveux 
O, oeil ; R, rostre ; S, sternum

       De même, chez une autre Araignée nord-américaine, Diguetia canities, de la famille des Diguetidae, j'ai découvert un développement tout aussi considérable de la glande à venin (Lopez,1984). Elle occupe plus de la moitié du prosoma, y englobant une grande partie du système nerveux (Fig. ). Se ramifiant dans de nombreuses directions, ses diverticules en forme de poches juxtaposées s'étendent dans le rostre, englobent le pharynx et sa glande segmentaire, et s'étendent en arrière jusqu'à la cauda equina, après s'être insinués entre les ganglions sous-oesophagiens et l'épiderme sternal.
 
Glande venin Diguetia 1
Glande venin Diguetia 2
Fig.  Diguetia canities, coupe sagittale du prosoma passant par les centres  nerveux
Fig.  Diguetia canities, autre coupe passant par le rostre
Ce, cauda equina ; Dv, diverticules de la glande venimeuse ; E, épithélium du rostre ; Gr, glande rostrale ; M, muscle rostral ; Nc, masse nerveuse centrale ; N, néphrocytes ; P, pharynx ; So, ganglion sous-oesophagien ; St, sternum

Glande venin Diguetia 3
Fig.  Diguetia canities, coupe frontale
Dv, diverticules de la glande venimeuse ; Gv, glande venimeuse ; M, muscles prosomatiques ; P, pharynx
      
          Par ailleurs, j'ai démontré que la disposition simple en un corps sacciforme unique et un seul canal excréteur aboutissant au crochet chélicérien ne saurait être admise comme une constante propre à la totalité de l'ordre (Lopez,1977). La glande à venin de certaines Araignées est formée en effet par deux lobes étroitement accolés suivant le grand axe de l'organe et inclus dans un même fourreau conjonctivo-musculaire qui plaque les deux poches l'une contre l'autre. Indiscernable à  l'examen macroscopique et lors des dissections, cette dualité,n'est visible que dans les seules coupes histologiques. Non observée par Millot (1931), elle a été décrite pour la première fois chez Argyroneta aquatica et considérée alors comme un caractère propre à cette espèce (Lopez,1973). Je l'ai retrouvée ultérieurement chez d'autres Aranéides : Desidiopsis racovitzai, Gallieniella mygaloides, quelques Thomisides et la famille des Salticidae (Lopez,1977).
        Contrairement aux organes ramifiés "exubérants"  décrits précédemment, l'aspect extérieur de la glande ne se trouve pas modifié par la duplicité corporéale de sorte que les lobes, purement épithéliaux, n'apparaissent qu'en coupes longitudinales (Fig. ) et surtout transversales (Fig. ). Du fait de leurs tailles trés inégales, ils peuvent être considérés comme lobe principal et lobe accessoire, le premier étant au moins deux fois plus étendu que le second chez Argyroneta aquatica. Ils se superposent dans un plan vertical ou légèrement oblique sans que leurs places et dimensions respectives soient immuables pour une espèce donnée et d'une espèce à l'autre. Ils présentent une forme en hémicylindres inégaux ou en cylindre complet associé à un tube qu'il déprime en gouttière. Leurs lumières sont totalement indépendantes. Un canal excréteur se détache de l'extrémité antérieure de chaque lobe dans les cas de Gallieniella et des Salticides. Il s'ensuit que deux conduits, et non un seul, sont visibles dans les coupes prosomatiques frontales où ils paraissent juxtaposés comme les canons d'un fusil de chasse avant de se fusionner jusqu'à la chélicère. Chez l'Argyronète en revanche, il semblerait que les deux portions s'ouvrent séparément dans un même canal excréteur, de ce fait unique.
        
J'ai attribué la dénomination de "type glandulaire à deux lobes affrontés" (Lopez,1977) à une telle forme d'organe venimeux car elle parait bien souligner ses deux particularités anatomiques essentielles : l'accolement de deux culs de sac distincts et leur inclusion dans une même gaine contractile (Lopez,1977).

2 - Structure histologique

2.1.Corps
       Comme l'ont montré quelques auteurs tels que Millot (1931),le plus crédible, et d'après mes propres observations, la glande à venin des Araignées présente une structure histologique homogène dans toute son étendue où se succèdent constamment, de dehors en dedans, quatre parties bien distinctes  : une adventice, une tunique musculaire, une membrane basale et un épithélium sécrétant.
2.1.1 - Adventice
        Il s'agit d'une enveloppe conjonctive trés fine, reliée à la basale par de fines lamelles peu visibles cloisonnant la musculeuse.
2.1.2- Tunique musculaire.
        Plus ou moins épaisse, elle est formée par des fibres striées, à striation bien visible..;en nombre variable, généralement de 30 à 50, parfois plus élevé, jusqu'au delà de 60 chez Badumna martius (Dictynidae). Ces cellules renferment des noyaux allongés, isolés ou réunis en files. Elles sont fixées au  sac glandulaire sur son fond et son sommet, ont généralement une disposition spiralée mais peuvent aussi s'orienter longitudinalement, comme chez Steatoda bipunctata. Quelques fibres peuvent entourer le canal excréteur.
2.1.3- Epithélium
        Il entoure une lumière plus ou moins large, faisant office de réservoir pour la sécrétion et en continuité avec celle du canal excréteur.
        Il est formé par des cellules prismatiques reposant sur la basale, toutes semblables entre elles, à cytoplasme peu abondant, leur majeure partie étant occupée par du produit de sécrétion, et à petit noyau  basal arrondi. Bien qu'accolées, ces cellules sont toujours indépendantes les unes des autres ; elles  ne sont pas étoilées et ne forment jamais le syncytium qu'a décrit Suomalainen (1964) dans un article totalement erroné et inacceptable sur le plan histologique.
        Le produit de sécrétion est visible à l'intérieur  des cellules épithéliales et (ou) dans la lumière, sous forme de grains acidophiles trés fins mais pouvant se condenser en sphères plus volumineuses, d'aspect un peu vitreux, présentant les mêmes affinités tinctoriales.
        L'épithélium ainsi constitué ne forme une assise régulière que chez les jeunes Araignées et dans de rares familles (Pholcidae). Le plus souvent, et peu après l'émergence (sortie du cocon), il se plisse progressivement et se dispose ainsi en crêtes régulières successives accolées les unes aux autres de façon caractéristique. Ces mêmes plis arrivent ainsi à cloisonner la lumière par adossement et peuvent transformer la glande en une poche lobée.
         Dans le type glandulaire à deux lobes affrontés (Lopez,1977), l'aspect particulier de l'épithélium et sa disposition originale autour de deux lumières bien distinctes permettent seuls d'identifier sur coupes un tel type d'organe. Le revêtement repose sur une basale le séparant de la tunique musculaire. Il est simple, prismatique, un peu plissé (Fig.  ), des crêtes de la basale le soulevant chez Argyroneta en festons parallèles proches du fond corporéal. Dans le lobe principal,  ses cellules ont des contours réguliers, un noyau basal plus ou moins apparent, une zone périphérique exigüe, basophile, d'aspect parfois "peigné" et une zone interne plus étendue, claire ou granuleuse. Dans le lobe accessoire, l' épithélium parait dériver du précédent car sa structure est assez voisine. Ses cellules ont toutefois des contours  sinueux ;  à l'état de vacuité, elles montrent des différences dans leur volume, la forme des contours et l'étendue des vacuoles cytoplasmiques. De plus, et lorsqu'il s'est conservé, le produit de sécrétion occupant les cellules et les deux lumières n'est pas identique dans les deux lobes : finement grenu dans le cul de sac principal, y captant peu l'éosine; organisé en  sphérules plus ou moins volumineuses dans l'accessoire (Fig. ), celui d' Argyroneta montrant des grains isolés ou conglobés, fortement acidophiles mais centrés par une zone réfractaire qui demeure toujours brun-jaunâtre(Fig.  ). Il est à noter que chez la même espèce, l'épithélium accessoire tend à disparaitre dans la partie moyenne de la zone d'accolement des deux poches, la paroi de l' accessoire n'étant plus représentée en ce point que par son homologue de la portion principale.
      


Glande venin Gallieniella
Glande venin Eris
Fig. - Gallieniella mygaloides : glande à venin, coupe transversale
Fig. - Eris marginata : glande à venin, coupe transversale
Ea, épithélium du lobe accessoire ; Ep, épithélium du lobe principal ; La, lumière du lobe accessoire ; Lp, lumière du lobe principal ; M, muscle extrinsèque prosomatique ; Tm, tunique musculaire.

2.2.Canal excréteur
        Sa structure histologique est généralement simple. La paroi se compose d'une adventice peu visible, d'une couche musculaire réduite à quelques fibres striées longitudinales et d'un épithélium bordant la lumière.
        Ce dernier est le plus souvent cubique, parfois pavimenteux et presque toujours  distinct de l'épithélium glandulaire.
Selon Millot (1931), les adénocytes corporéaux peuvent toutefois déborder la poche sécrétante pour tapisser une partie du conduit évacuateur (Dysderidae). Dans d'autres cas, ce canal  montre un élargissement de son calibre et surtout, une différenciation épthéliale d'aspect glandulaire et sécrétoire, soit localisée (Scytodes, Dolomedes), soit
étendue à sa quasi totalité. Ainsi, le canal excréteur de Pholcus phalangioides est entièrement pourvu d'un épithélium prismatique, différent du corporéal mais  probablement aussi  glandulaire car ses cellules renferment de nombreux granules éosinophiles apicaux vtraduisant une activité sécrétoire.



Bibliographie

Levy,R., 1916- Ann.Sc.nat.,Zool., 10e ser.,I
Lopez,A.,1973 (avec D.Llinarès) -
Bull.Soc.zool.France, 98, p.307-312.
Lopez,A.,1977- Bull.Soc.zool.France, 102,n°2, p.139-143.
Lopez,A.,1984.- J.Arachnol.,11,p.377-384.
Phisalix,M., 1912 - Bull.Museum, XVIII, p.132-134
Phisalix,M., 1922 - Animaux venimeux et venins, Vol.I, Masson, Paris, p.217-314.
Suomalainen, K.U.,1964 - Ann.Zool.Fenn.,1, 1964, p. 89-93