Si
l'on excepte certaines espèces australo-orientales (Portia, Euryattus,
Simaetha..),
les Araignées de la famille des Salticidae ne sont pas réputées comme
tissant des toiles élaborées, leur industrie
séricigène se limitant en général à
des coques d'habitation et aux cocons ovigères
dissimulés dans un abri.
Toutefois, depuis quelques
années, des naturalistes
français s'exprimant sur le Net, surtout dans la région PACA (Drouard
& al.,2021; Martin J.J.,2024)
, créditent le genre
néarctique Pellenes
de constructions d'une toute autre nature.
Il est
donc grand temps qu'en
vertu
du sacro-saint principe de priorité l'auteur de cet
article
fasse rendre
justice aux "toiles en voile de bateau" de Pellenes
arciger (Walckenaer)(Fig.1)
qu'il
découvrit en Lozère voilà près de 4
décennies, les dénommant ainsi dès leur
première description (Lopez, 1986).
Par ailleurs, il rappelle dans un même but de priorité, qu'il a observé et peut
être même
découvert une
autre Salticide, cette fois d'un genre
différent et vivant en Guyane française (donc pas seulement au Brésil : in
Wikipedia). Elle tisse
une étrange petite toile qu'il baptisa
"X-barred tent web" dans sa publication anglaise de 1985, beaucoup plus
ancienne (29 et 38 ans) que les photos numériques de Belloin (2014) et Perthuis (2023) recueillies dans le même département d'Outre-Mer et présentées
sans commentaires sur Internet. D'aprés la rédaction de la
British Arachnological Society, il s'agit d'une espèce nouvelle
du genre Fritzia (note infrapaginale, p. 4 : * Spider
probably belonging to a new species of the genus Fritzia") qui ne serait donc pas
monospécifique et limité à F.muelleri (O.P.Cambridge)(Fig.2)

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Fig.1 - Pellenes arciger,
femelle. Vue antéro-dorso-latérale gauche.
D'après Montardi, INPN,
Internet
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Fig.2
- Fritzia
muelleri, femelle
capturée. Vue dorso-latérale gauche.
D'après
Naturalist, Internet
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II -
LES TOILES DE PELLENES ARCIGER
II-1 - Localisation
Le 28 juin1986, l'auteur
observa en effet sur le causse Mejean de curieuses petites toiles d'Araignée
disséminées dans les vastes étendues steppiques du
plateau et qui se sont avérées construites par une
Salticide meridionale, Pellenes arciger (Walckenaer,1837).
Ces petits édifices soyeux étaient disséminés non loin de l'Aven Armand, dans des pelouses bordant
la nationale 586 (Lopez,1986,1997).
Ils ont été
ensuite
retrouvés sur
le
même plateau, au
Roc des Hourtous ainsi qu' aux Arcs-de-Saint-Pierre (29 juin 1986), puis sur le Causse Noir, près de Veyreau (30 juin 1986) (Fig.3).

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Fig.3 - Pelouse à Stippa constellée de toiles
de Pellenes
érigées (flèches blanches)
Causse noir, Lozère.
D'après une mauvaise photoN/B., A.L.
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Fait
curieux, les années suivantes (même epoque: fin juin, débutjuillet), des recherches
effectuées avec Francis Marcou) n'ont pas permis de retrouver la moindre toile de Pellenes dans les secteurs dejà
parcourus en 1986. Les
deux dernières prospections effectuées
sur le Mejean (6 et 7/97) se sont notamment revélées infructueuses, lcs rares toiles observées dans les pelouses étant des «nurseries » de Pisaura mirabilis.
II-2 - Description
Il
s'agissait de toiles en nappe, non pas horizontales mais
dressées
verticalement, leur blancheur et leur éclat permettant de les
apercevoir
de loin (Fig.1).Tendus
entre les Poaceae (Fétuques, Stipes
pennées ou "cheveux d'ange"), et la
pierraille
calcaire,
ces édifices
présentaient une orientation et une forme
particulières, en triangle, rectangle ou trapèze
grossicr,
(Fig. 4
à 12) justifiant leur nom de toiles en"voile de bateau"que
l'auteur a utilisé dans sa description initiale (Lopez,1986), d'autant plus
que certaines évoquaient curieusement la voilure d'une jonque
(Fig.7 et ...in
Wikipédia)

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Fig.4
- Toile, Causse Méjean
D'après une diapositive
(A.L.)
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Fig.5 - Autre
toile, même causse.
D'après une diapositive (A.L.) |
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Fig.6
- Autre toile, même causse.
D'après une diapositive (A.L.)
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Fig.7
- Autre toile, même causse.
D'après une photoN/B., A.L.
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Fig.8-Autre toile, même causse.
D'après une diapositive (A.L.)
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Fig.9
-Autre toile, même causse.
D'après une diapositive (A.L.)
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Fig.10-Autre toile, même causse.
D'après une diapositive (A.L.)
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La partie inférieure de chaque toile dressée se prolongeait en une retraite tubulaire "glissant"
sous une pierre(Fig.4 à 10)
ou s'engageant dans une coquille vide
de Gastéropode (Fig.11,12), habitacle d'ailleurs signalé
par Simon (1876)
chez "Pellenes
arcigerus".

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Fig.11 - Autre toile s'engageant dans une
coquille
vide d' Hélix (flèche)Causse
Méjean, 1986
D'après Lopez, 1997,
fig.3, p.37.
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Fig.12 - Détail de la
précédente
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II-3- L' ARAIGNEE
Ce
"Saltique à arche" est suffisamment décrit dans
la littérature
pour ne pas faire ici l'objet
d'une nouvelle présentation détaillée (Fig.1)
Trés
petite
(3 à 4,5mm) par
rapport à sa construction, l'Araignée,
généralement une femelle adulte mais aussi, peut
être un mâle, se tenait généralement
sur l'une des faces de cette
dernière (Fig.13 à 15) ou dans la retraite, toujours
solitaire, immobile ou réparant des brèches avec
ses filières.
Aucune proie, entière ou ses vestiges, n'était visible
sur la nappe, dans le tube ou à leur pied.

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Fig.13 - Autre araignée
(flèche) sur sa toile, vue
dorsale. Causse
Méjean, 1986
D'après Lopez, 1986,
fig.5.
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Fig.14 - La même (flèche),
détail
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Fig.15 - Autre araignée
(flèche) sur sa toile, vue
latérale droite. Causse
Méjean, 1986
D'après Lopez, 1997,
fig.2, p.37.
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Beaucoup plus tard, l'auteur a eu la grande surprise de retrouver Pellenes
et ses toiles, encore en Occitanie,
mais cette fois près du littoral, à trés basse
altitude, tout près de chez lui (Colombiers) : sur
la partie nord de la colline d' Ensérune, connue pour son
célèbre musée, et à Montady, à
proximité de l'étang du même nom. Etablies dans
des pelouses thermophiles de
garrigue, les toiles
étaients fixées à des cailloutis,
souvent insérées dans des coquilles vides d'escargots par
leur partie tubuleuse,
leur voile étant soutenue sur son pourtour
par des graminée et ainsi dressée. Cette
année 2025, la proximité des sites sus-mentionnés
a permis à l'auteur de les visiter dès
le début Juin mais
ses recherches, dans des conditions
caniculaires, se
sont avérées tout aussi infructueuses qu'
antérieurement en
Lozère.
Rappelons
que le tissage de "voiles de bateau" par Pellenes arciger
est un
phénomène unique comme l'ont souligné
l'auteur (Lopez,1986) et son collègue australien Robert
Jackson
dans une communication personnelle. Il se singularise, non seulement par le "design" qu'adopte l'araignée,
mais surtout par le fait qu'une industrie séricigène
constructrice est inconnue jusqu'ici chez les Salticidae holarctiques, néotropicales et
éthiopiennes. Elles produisent seulement des fils de
sécurité, des
plateformes de mue banales, des cocons ovigères et des
retraites d'un
aspect parfois fort singulier Tel est le cas de la"toile en tente barrée par un X" ("X-barred Tent Web" : Lopez,1985).
III -
LES TOILES DE FRITZIA sp. (MUELLERI ?)

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Fig.
16- Fritzia
n.sp. Toile en tente symétrique avec ses ouvertures médiane
(M), latérales (L) et son bandeau médian en "X".
Piste de Nancibo, Guyane
D'après une diapositive (A.L., 1985)
|
Fig.17
- Fritzia n.sp. Autre
toile, avec l'araignée se présentant à une
ouverture latérale (flèche)
Piste
de Nancibo, Guyane
D'après une diapositive (A.L., 1985)
|
Fig.
18- Fritzia
n.sp. Autre toile, avec l'araignée se présentant
à l'ouverture inférieur (flèche)
Piste de Nancibo, Guyane
D'après une diapositive (A.L., 1985)
|
Remarquer que
la toile est toujours installée sur une nervure de feuille, en
général médiane, et près de l'apex
|
III-1 -
Localisation
Lors du mois d' Aout 1984, l'auteur fit une autre
étrange observation arachnologique mais cette fois en Guyane
française, prés de la piste de Nancibo issue de la "Route de l'Est" (n°2) à environ 40 km de Cayenne. La station se situait à l'orée
d'une clairière aménagée par l'armée dans
la forêt équatoriale : une cinquantaine des toiles d'
Araignée installées sur les feuilles des arbustes et petits arbres, remarquables par
leur petitesse
(4 à 10 mm),, une blancheur éclatante les rendant perceptibles à distance et leur forme géométrique
quasi-constante, avec une certaine symétrie bilatérale
Une description
de pareille toile, bien qu'à peine esquissée dans le
texte
mais
illustrée dans la planche (Fig.19), est l'oeuvre du
célèbre arachnologiste anglais O.Pickard-Cambridge (1879) créant
un nouveau genre et une nouvelle espèce, Fritzia muelleri,
d'après des toiles
récoltées par Charles Darwin, puis, avec leurs
hôtes, par Fritz Müller à Sta Catherina,
Brésil. Dans ce même pays, Daros (2025) a photographié
de trés nombreuses toiles e
Par ailleurs, en ce qui
concerne la Guyane française, les photos de Belloin et Pertuis (in internet) ont été
réalisées respectivement aux
"Carbets de Coralie"(2014) et
à Sinnamary (2023).

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Fig.19
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D'après O.P.Cambridge, p.120
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III-2- Description des toiles
Chacune d'elles (Fig.16 à 18) peut être décrite comme une petite
tente trés surbaissée, en pure soie blanche et brillante,
avec un contour étoilé, rappelant, à
première vue, celle des Oecobiidae
(Uroctea).
Elle s'étend sur la face supérieure de la feuille mais n'y est fixée qu'en
périphérie, ménageant ainsi, avec ce support
végétal, une chambre oblongue, retraite pour
l'araignée. Cependant, l'insertion est discontinue et
s'interrompt pour former trois ouvertures à lèvre supérieure arquée, l'une
médiane et les deux autres latérales, disposition
conférant à la toile son étrange
symétrie bilatérale. Des deux côtés,
l'arrimage de
la tente est sécurisé par de gracieux "tendeurs",
plus longs
et minces autour des orifices latéraux que du médian. Ces
expansions renferment une "chaîne" de fils directs robustes
s'arquant au-dessus de chaque ouverture, pour
s'entrecroiser ensuite au milieu de la toile et y former un "toit" en
tissu vaporeux. De plus, une trés fine couche
de soie
revêt la surface de la feuille entre les tendeurs.
Dans l'ensemble, il apparait un "design" symétrique
conformé en "X" allongé et aplati justifiant
l'appellation de "toile en tente barrée par un X " . Les mesures
de 27 d'entre elles ont donné une longueur de 4 à 8 mm et
une largeur de 6 à 10.
Ainsi constitués, tous ces édifices sont
situés invariablement sur la face supérieure de la
feuille, comme évoqué
d'ailleurs par Cambridge
III-3 -
L'Araignée
Minuscule,
l'araignée Frizia a
un corps dont la longueur n'excède guère 3 mm (Fig.2,
19), brun grisâtre, avec des zones de poils blancs.
Elle se tient en permanence dans la chambre de l'habitacle, pour
apparaître, de temps en temps, à l'une ou l'autre
des ouvertures (Fig.17 et 18 : flèches), probablement
embusquée dans l'attente de menues proies circulant sur
le limbe foliaire.
La toile en tente est également un lieu
de ponte et d'élevage des jeunes car dans trois cas, il y a
été trouvé par l'auteur des cocons aplatis
fixés sur la feuille et renfermant des oeufs orange brillant.
COMMENTAIRES
Outre Pellenes arciger,
il semble qu'une autre espèce du même genre, P. nigrociliatus, construise aussi une toile, mais
en milieu dunaire, plus petite (5 x 5 cm), losangique, au dessus d'une coquille
d'escargot, également utilisée (Guegen,2010)
Dans
la famille des Salticidae,
le
tissage d'une
vraie toile élaborée, quoiqu'irrégulière et
tridimensionnelle, n'est décrit dans la même famille que
chez certaines espèces australo-orientales : Portia (Jackson & Blest, 1982 ; Jackson, 1986) et, sous réserve, car il
semble plutôt s'agir de nids tubulaires, Euryattus et
Simaetha.
En l'absence d'observations positives
nouvelles, nous devrons seulement constater que le
phénomène du tissage chez Pellenes
arciger
est inhabituel, non
"stéréotypé", n'apparait pas forcément chaque
année, du moins à une période fixe,
et n'a donc point de rapport évident
avec la capture des proies.
Il est possible que la toile soit utilisée
pour la garde et la dispersion ultérieure des jeunes car
on sait déjà que le genre Pellenes peut
donner à sa
"couvée " des "soins parentaux"
élémentaires (Mikulska,1961).
Une telle conception a
donc été émise longtemps avant que Drouard
et
al.(2021) aient mentionné sur Internet : le "Saltique
à
arche" "est la
seule espèce de Salticidé à construire une toile,
en forme de voile à partir du sol où la femelle se
positionne dans la journée et protège ainsi
son cocon enfoui dans la terre ou dans une coquille d' escargot". Cette
même
phrase fut entièrement reprise par Martin
(2022, 2024) dans ses observations en garrigue à
Sablet (84). Toutefois, in
Drouard
et al., la "toile de protection du cocon" illustrant la page 39 n'a
pas les mêmes ampleur et disposition que celles
présentées ci-dessus.
Par ailleurs, il est possible que l'inconstance du
phénomène dépende de certains facteurs abiotiques
du milieu, tels que des conditions météorologiques
changeant d'une année à l'autre, alors responsables du
comportement "batisseur" capricieux découvert chez le Pellenes
occitan.
En ce qui concerne l'espèce guyanaise, la
constance de sa toile par ses
couleur, structure, orientation et rapports étroits avec
la face supérieure de la feuille
pourrait impliquer une double protection.
D'abord contre la pluie, si fréquente et souvent d'une rare
violence en milieu équatorial. La situation particulière
sur la feuille, au-dessus de la gouttière créée
par la nervure médiane et à proximité
du long acumen considéré comme une adaptation
botanique drainant rapidement la surface du limbe
("drip tip")
pourrait expliquer que le séchage rapide qui en
résulte après chaque averse facilite l'installation
de la toile et
son maintien dans un lieu exposé.
Ensuite contre les prédateurs potentiels, d'autant plus que la
blancheur pure et brillante de la soie rend la petite structure visible
à une grande distance. Une certaine une forme de camouflage
pourrait donc, en contre partie, lui être liée.
Trois "modèles" peuvent être évoqués : des
excréments d'oiseau, l'impact localisé de rayons solaires
ayant franchi la canopée et, trés curieusement, des
insectes Coccides (Cochenilles)(Fig.19,20) qui abondaient sur le feuillage
à proximité des toiles de Frizia....

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Fig. 19 - Cochenille observée au
voisinage des toiles de Fritzia
D'après une diapositive (A.L., 1985) |
Fig.20 - Autre Cochenille observée au voisinage des
toiles de Fritzia
D'après une diapositive (A.L., 1985) |
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-
BIBLIOGRAPHIE
SOMMAIRE
Belloin, M., 2014 - https://www.insecte.org/forum/viewtopic.php?t=135459
F.Daros Brésil 2025
https:/
/www.inaturalist.org/taxa/817150-Fritzia-muelleri
Drouard,F. & al., version
2021 - Les Araignées sans
toile de chasse de la région
PACA-deuxième partie : les Salticidae. Genre Pellenes : Pellenes arciger p.39.
Guegen,P., 2010
- "Le Monde des Insectes" : Forum
in Internet......
Jackson,
R.R.& A.D.Blest,1982.- The biology of Portia
fimbriata, a web-building jumping
spider.
J.Zool.Lond.,196, p.255-293.
Jakson,R.R., 1986 - Web
building,
predatory versatility and the evolution of the Salticidae. in W.A.Shear : Spiders, webs,
behavior and evolution. Stanford Univ.Presse, p.232-268.
Lopez,A.,
1985.- The "X-barred tent web" of a
Salticid Spider from French Guiana. Newsl.Br.Arachnol.soc.(U.K.),
n°42, p.4-5.
Lopez,A.,1986.-
Construction de toiles en
« voile de bateau » par une Araignée
Salticide languedocienne. Bull. Soc. arch.scient. litt. Béziers,
2, 6e ser., p.65-68.
Lopez,A.,1997
(en col. avec F.Marcou). –
Un
mystère non résolu : la toile d’une Araignée
Salticide caussenarde. Bull. Soc.Et.Sci.nat. Béziers, 16, 57,
p.35-37.
Martin, J.J.,
2022-2024 - https://www.sablet-nature.fr/araign%C3%A9es-de-france/sans-toile/salticidae/pellenes
Mikulska,I., 1961 - Parental care in a
rare spider, Pellenes nigrociliata
(L.Koch) var.bilunulata
simon. Nature
(Londo.n), 190, p.365-366.
Perthuis,B.,
2023 - https://www.insecte.org/forum/viewtopic.php?t=256807
Pickard-Cambridge,
O,1879 : On a new
genus and species of
Spiders of the family Salticides. Proceedings of
the Zoological Society of London, vol. 1879, p. 119-121
Simon,E., 1876
- Les Arachnides de France,
III : Attidae.
Libr.encycl. de Roret, Paris.