Punaises et plantes (Colchique, Rouvet)



AU  SUJET  D’INSECTES HÉTÉROPTÈRES PENTATOMORPHA  ET  DE


 LEURS  PLANTES  HÔTES, NOTAMMENT LA « PUNAISE À DAMIER » ET LE

COLCHIQUE DE NAPLES


Par André LOPEZ, auteur

    (Version 2025 et ultime article *)


* Retiré d'un projet pour le Bulletin de la Société d' Etude des Sciences naturelles de Béziers

Couleurs conventionnelles :
      En noir et italiques, termes anatomiques ; en violet,, noms génériquess  et spécifiques ; en kaki, noms vernaculaires et non linnéens ; en marron, termes biologiques et chimiques -en vert, noms de familles et sous-familles ; en bleu clair, noms de groupements plus élevés ; en bleu foncé, liens ; en  orange,, parties les plus importantes et résumés.









I- Introduction et rectificatif
II-Le Colchique de Naples
    II-1- Généralités
    II-2-Stations
    II-3-Description
    II-4- Biochimie

I - INTRODUCTION ET RECTIFICATIF

 

Dans un article précédent, déjà ancien, l’auteur a décrit les relations singulières existant entre deux Insectes Hétéroptères Pentatomorphes et deux plantes faisant partie de familles bien distinctes : d’une part Lygaeus saxatilis Scopoli. et le Colchique de Naples (Colchicacées), d’autre part Sehirus dubius Scopoli. et l’Osyris ou Rouvet (Santalacées)(Lopez,2003).

En fait, selon la nomenclature linnéenne actuelle, le premier Hétéroptère doit être rattaché à un genre différent et devient ainsi Spilosthetus saxatilis (Scopoli), la « Punaise à damier ».

Quant au second, Sehirus Amyot & Serville, inclus par beaucoup dans le genre Canthophorus Mulsant & Rey, il crée  toujours des polémiques. En témoigne le site IT (22 juillet 2022), qui considère Canthophorus comme un synonyme invalide de Sehirus, tandis qu'il est  reconnu aujourd'hui par la communauté scientifique, à la suite de Gapon (2018). En outre, un examen plus attentif des adultes (hémélytres et abdomen) a conduit l’ auteur à réviser depuis sa diagnose : l’Hémiptère lié au Rouvet  doît être traité comme étant en fait Canthophorus melanopterus, le « Canthophore à ailes sombres » ou « Cydnidé bleu ».

De plus, toujours dans l’article de 2003, il était seulement évoqué un « motif nutritionnel »  et une relation « indiscutablement trophique » entre l’insecte et son hôte végétal, négligeant ainsi quelque peu l’étrange biologie des Pentatomorpha  axée, en bonne partie, sur leur défense contre les prédateurs dans le cadre d’un « avertissement » ou « aposématisme ».

 


II- LE COLCHIQUE DE NAPLES

 

II-1 – GENERALITES

Le nom Colchique, Colchicum, est dérivé de Colchide, Colchis ou Kolchis (dans les langues géorgienne et iaze : კოლხეთი, k'olkhéti ; en grec Κολχίς, Kolchis, sans doute lié à khalkos qui désigne le cuivre) ancien royaume puis région de Géorgie. Le plus grand nombre d'espèces se rencontre en effet dans les Balkans et en Asie mineure. Un Colchique, surtout celui d’ automne (C.autumnale), est également appelé, du moins en France, «safran bâtard», «safran des prés» ou encore, du fait de sa grande toxicité, «tue-chien».

La nomenclature du genre Colchicum dont il existe une bonne centaine d’espèces, est actuellement confuse. L'identification correcte d'une espèce nécessite souvent un examen attentif des fleurs et des feuilles, ce qui est en pratique difficile à réaliser sur le terrain. Comme mentionné ci-dessous, les feuilles et les fleurs de la plupart des espèces apparaissent en effet à des saisons différentes.  

Dans la classification habituelle de Cronquist (1981), il se rattache à la classe des Liliopsida, sous-classe des Liliidae, ordre des Liliales et famille des Liliaceae. Dans la classification phylogénétique, il fait toujours partie des Liliales mais individualise la famille des Colchicaceae.

II-2 - STATIONS

Le Colchique de Naples a été observé en Biterrois de 1995 à 2003 au Printemps et en Septembre-Octobre, puis à nouveau en 2024, non sans des limites dues à la sècheresse. La population la plus rapprochée de Béziers se situe dans une pelouse à Brachypodes, près du Canal du Midi et en contrebas de la colline d’Ensérune, au lieu dit « le Malpas » (Fig.3,4,5,7). Les autres sont connues du Saint-Chinianais et du Pardailhan  de fossés, talus herbeux et friches: bord de routes entre Saint-Chinian et Donnadieu, Cazedarnes et Pierrerue, Assignan et Coulouma mais aussi, en  pleine garrigue rocailleuse  comme à Marcory, proche de Copujol (Lopez,2003), à Gimios près de Barroubio et jusqu’en Minervois au-dessus de la grotte du Gourp des Bœufs.

II-3- DESCRIPTION

Le Colchique de Naples Colchicum neapolitanum Ten. (C.arenarium G.G ou C.longifolium Castagne), non décrit dans la note  antérieure (Lopez,2003), est une plante herbacée vivace de l'Ouest méditerranéen. Comme le Colchique d’ Automne, il fait partie des espèces à tépales soudés. De petite  taille (h = 10-20 cm), glabre, il est pourvu d’un pseudo-bulbe large de 2 à 3 cm,  le corme, que forme une tige renflée entourée par des écailles noirâtres.Ses feuilles radicales sont peu nombreuses (trois à quatre), dressées ou étalées, étroites, allongées, lancéolées ou linéaires- lancéolées, obtuses (Fig.1,2), n'apparaissant qu'au printemps qui suit la floraison avec le fruit qu'elles entourent (Fig.2 : flèche).

 

                    

Punaises, Fig.1
Punaises, Fig.2
Fig.1    
Fig.2

               
La fleur, automnale (Août-Septembre), est souvent solitaire (Fig.3), rarement géminée (Fig.4) ou ternée, assez grande, sans hampe, et parait sortir directement du sol. Elle montre un très long tube blanchâtre dressé (Fig.3,4) et un périanthe en entonnoir rose-mauve, long de 3 à 5 cm, avec  six divisions ou tépales lancéolés-oblongs, pourvus de stries non ou peu ondulées (Fig.3 à 6). Les six étamines sont toutes insérées en couronne, sur un seul rang,  à la même hauteur et les trois styles, qui les égalent ou les dépassent, ont des stigmates en massue, un peu courbés (Fig.5,6). Une telle inflorescence ressemble à celle des Crocus pourvus toutefois de trois étamines au lieu de six.

               

Punaises,Fig.3
Punaises Fig.4
Punaises Fig.5
Fig.3  
   Fig.4    
Fig.5

                                                                               

 Le fruit  (Fig.2 : flèche), printanier comme les feuilles, est une capsule de la taille d'une noisette, elliptique, atténuée aux deux bouts, verte puis brun-rougeâtre, triloculaire, s'ouvrant en trois valves pour libérer ses nombreuses graines ridées (Fig.7).

Punaises, Fig.6
Punaises, Fig.7
Fig.6 Fig.7

                           

II-4 – BIOCHIMIE

 Malgré l’absence de données tangibles au terme d’une enquête minutieuse sur Internet, on peut être assuré par  extrapolation, en prenant pour base l’Insecte inféodé et l’exemple du Colchique d’ Automne, principale espèce d’extraction,  que la plante tout entière produit de la colchicine, son principe majeur. Signalons qu’outre Colchicum autumnale, le « Lis du Malabar (Gloriosa superba, syn. G. rothschildiana) » fournit la même substance mais à plus forte concentration. Il s’agit d’une Colchicacée tropicale asiatique, lianescente, pourvue de vrilles sur des feuilles lancéolées, à rhizome tubéreux et cultivée aussi pour ses magnifiques fleurs (Fig.8).

 

Punaises, Fig.8
Fig.8


                                                              

Au point de vue chimique, la colchicine, poudre cristalline blanche  ou jaune pâle, est un alcaloïde de formule C22H25N06, de structure  tricyclique (Fig.9), à deux énantiomorphes : la (R)–colchicine et la (S)-colchicine, cette dernière,  isolée par deux chimistes français, Pelletier et Caventou (1820) , associant, très curieusement, le Colchique d’ Automne et... les Verâtres (Melanthiaceae), également toxiques, dans la famille dite des « Colchicées ». Elle possède des activités pharmacologiques qui, depuis, ont fait toute sa renommée.


Punaises, fig.9
Fig.9  Structure de la  Colchicine


Sur le plan cellulaire  ultrastructural, la colchicine présente l’étrange  propriété de désorganiser une partie du cytosquelette, polymères protéiques résistant à la déformation et transmettant les forces mécaniques dans la cellule. Non pas les filaments d’actine et intermédiaires, mais les microtubules, tiges rigides et creuses à sous-unités de tubuline qu’elle dépolymérise . Il s’ensuit une inhibition de la mobilité des leucocytes polynucléaires neutrophiles, de leur adhésivité à l'endothélium des vaisseaux et une neutralisation partielle de l'inflammasome, complexe protéique impliqué dans le système immunitaire.

Du fait de cette activité anti-inflammatoire, la colchicine est utilisée comme médicament, l'extrait de plante étant connu depuis l’antiquité (Pedanius Dioscoride, 40 env.-env. 90) pour traiter notamment  la « podagre » goutteuse.

On l’utilise aujourd’hui en médecine humaine contre les maladies articulaires dites à « microcristaux » : acide urique (goutte) ; pyrophosphate de calcium  ou  hydroxyapatite (chondrocalcinose, étrange syndrome cervical hyperalgique de « la dent couronnée » par atteinte du ligament rétro-odontoïdien de l’atlas). Plus rarement, elle est prescrite  dans la maladie périodique  ou  fièvre méditerranéenne génétique, dans le syndrome ou maladie vasculaire de Behçet et certaines péricardites. Elle a été considérée enfin, probablement à tort, comme pouvant protéger des maladies cardio-vasculaires et même du Covid-19 ! Dans tous les cas, elle doit être maniée avec une précaution extrême car il s’agit d’une substance de haute toxicité à balance bénéfices-risques défavorable aussi bien pour l’homme que pour le bétail. Son administration est utile jusqu’à 10 mg mais au delà, doit être interrompue impérativement lors que  survient une diarrhée, car elle se rapproche alors de la dose mortelle, avec paralysie neuro-musculaire, destruction des cellules sanguines, convulsions, atteinte rénale, choc septique et, enfin, détresse respiratoire terminale. En Inde et au Sri-Lanka, des suicides seraient dus à la colchicine de Gloriosa (Fig.8) par ingestion de son rhizome !

Signalons par ailleurs, que du fait de son activité inhibitrice sur la polymérisation des microtubules, un tel alcaloïde est souvent utilisé au laboratoire pour établir un caryotype par blocage de la mitose en métaphase, stade où les chromosomes deviennent apparents. L’action délétère sur le fuseau mitotique des Insectes, donc leurs microtubules, est connue expérimentalement depuis Dooley (1939)  mais paraît, jusqu’ici, peu documentée (Orthoptères, Coléoptères, Diptères).

 

LA PUNAISE A  DAMIER

Spilostethus saxatilis (Scopoli, 1763) fait partie de la famille des Lygaeidae (Hemiptera > Heteroptera > Pentatomorpha> Lygaeoidea> Lygaeidae) dans l’une de ses trois sous- familles, les Lygaeinae. La famille a une répartition cosmopolite, avec 38 espèces et 16 genres en France (in Fauna Europaea,13 novembre 2022). Il s’agit d’une espèce ouest-paléarctique présente depuis l’Espagne et le Maghreb jusqu’au Caucase et l’ Afghanistan. Elle est sensée préférer les reliefs  aux plaines (jusqu’à plus de 1000 ms) et vivre dans des milieux assez frais et ensoleillés, notamment , les paturages, les orées forestières, les friches et les jachères sans que la garrigue ou matorral soit évoquée. Etymologiquement,  « Spilostethus», qui a succédé à « Lygaeus », signifie en latin « avec des taches sur le thorax » et « saxatilis », « du rocher »,  allusion possible à un habitat montueux et peut être montagnard sus-mentionné.


A - DESCRIPTION

Long de 8,5 à 13 mm (mâle plus petit que la femelle), Spilostethus saxatilis est ovale allongé, aplati dorso-ventralement,  bicolore, avec des taches noires  sur fond rouge « criard », une livrée très voyante propre à tout le genre (Fig.10 à 13). La tête porte les yeux, cernés par un H noir, des antennes à 4 segments et un rostre ventral piqueur-suceur. Le pronotum montre un grand motif formé par deux larges bandes noires quadrangulaires un peu convergeantes s’étirant en avant jusqu’au dessin périoculaire et atteignant en arrière le scutellum, entièrement noir. La corie ou partie basale indurée de chaque aile antérieure (hémélytre) présente trois dessins  noirs, l’un petit et interne sur le clavus, les deux autres, plus grands et externes, l’antérieur en triangle et le postérieur, incurvé-claviforme, atteignant  par son « pied » la membrane,  zone apicale de l’aile, entièrement noirâtre, sans macules blanches. Sur la face ventrale  (Fig.12), la couleur noire laisse apparaître  le fond rouge  vif dans des plages   thoraciques anguleuses et cinq bandes abdominales festonnées  se prolongeant dorsalement sur le connexivum. Les pattes noires ont des tarses à 3 articles

L’ensemble très complexe d’une telle ornementation et non le seul dessin  pronotal, comme l’ont écrit certains auteurs, a valu à l'insecte son nom courant de "Punaise à damier".

              

Punaises, Fig.10
Punaises, Fig.12
Punaises, Fig.11
Fig.10  
©  Fig.12
© Fig.11


                                 

                      

           

Punaises Fig.13
Fig.13- Accouplement à terre de Spilostethus saxatilis, vue dorsale.

                                                    

Ainsi décrit, Spilostethus saxatilis ne doit pas être confondu avec deux autres espèces du même genre, Spilostethus pandurus (Scopoli) et S.furcula. Le premier (Fig.14, 24) se caractérise par deux bandes pronotales étroites, sinueuses et divergeant en arrière, par une petite macule arrondie sur les clavus des cories et surtout par trois taches blanches sur les membranes, la plus grande arrondie et centrale, une autre arquée. Le second (Fig.15), d’origine africaine et parvenu en France avec le réchauffement climatique, montre un pronotum orné de deux larges bandes longitudinales droites, non arquées, un  scutellum noir à apex rouge et des cories portant deux taches noires, une étroite sur le clavus et une large en bande triangulaire transversale. Les membranes sont grises.

                    

Punaises, Fig.14
Punaises, Fig.15
          Fig.14 - Spilostethus pandurus, vue dorsale     
Fig.15 - Spilosthetus furcula, vue dorsale

                                                                   

D'autre part, il doit être différencié de la «Punaise écuyère», Lygaeus  equestris (Fig.16), considérée initialement comme un Spilostethus. Fréquente dans la dition bitteroise, elle se  caractérise par un pronotum à motifs noirs transversaux, un scutellum tout noir, une tache punctiforme et une bande transversale massuée de même couleur sur la corie et une membrane noire ornée de taches blanches évoquant celles de Spilosthetus saxatilis.


Punaises, Fig.16
Fig.16- Lygaeus equestris, vue dorsale


Dans tous les cas, les couleurs voyantes composant des livrées ainsi bariolées entrent dans le cadre  plus général de l’aposématisme.

 
B - APOSEMATISME

Ce dernier (du grec ancien ἀποσημαίνω, aposêmaínô = annoncer par des signes, signaler) l'est l'ensemble des mécanismes grâce auxquels un animal envoie un signal clairement perceptible pour des  prédateurs potentiels afin de les prévenir qu'il n'est pas comestible et représente même un réel danger lié à sa propre toxicité. Ce signalement, d’emblée visuel (coloration et livrée voyantes), peut être aussi sonore  et donc acoustique (stridulation de Pentatomides) ou olfactif : émission par des glandes métathoraciques et leur appareil externe dont Carayon (1971) a fait le point, de molécules sémiochimiques perçues comme malodorantes, d’où  leur nom commun français général de « Punaises » issu du bas latin putinasius (« qui sent mauvais » de putere = « puer » et nasius = « nez »). Les plus abondantes sont des aldéhydes aliphatiques et aromatiques auxquelles ont été attribuées plusieurs fonctions : fongistatique et microbicide, sociale pour l’agrégation des Lygaeidae et des Pyrrhocoridae, surtout répulsive notamment pour l’homme, et même toxique. En fait, cette dernière est bien souvent indépendante du produit  des glandes métathoraciques car l’action délétère se trouve  plus souvent liée à des végétaux dont se nourrit l’ insecte.

Le phénomène de l’aposématisme n’est pas fortuit mais implique chez les carnivores,   qu’il sagisse de Vertébrés (des Batraciens aux petits Mammifères), d’ Arachnides ou  d’Insectes  un certain « apprentissage » préalable. Ce dernier établit un lien entre  des contacts antérieurs désagréables avec les proies potentielles, ici des d’Hétéroptères, et les couleurs contrastées qu’elles arborent , et dont les prédateurs finiront ainsi par se détourner.

C - COMPORTEMENT DE LA PUNAISE DU COLCHIQUE

Spilostethus saxatilis se rencontre régulièrement sur les Colchiques de Naples, isolé ou en petit nombre, parfois accouplé en position tête-bêche (vulgairement "cul à cul") (Fig.13,17), y occupant les feuilles et la capsule au Printemps, les fleurs à la fin de l'Eté (Figs. 18). Il se tient immobile ou déambule à l'aisselle des feuilles ou sur les périanthes, et s’enfuit avec vélocité lorsqu’on l'importune, sans toutefois s’éloigner beaucoup du pied d’où il peut, toutefois, en gagner d’autres (Fig.19 ). L’insertion de son rostre dans le végétal a pu être photographiée (Fig. 20, à gauche). En revanche, les anthères et le pistil paraissent parfois endommagés  et comme dilacérés lorsqu’il occupe la corolle (Fig.18 et f.4, p.31, in Lopez,2003). Bien qu'elle soit capable de voler, Spilostethus n'aime pas aller très loin, et ne s'éloigne donc guère de la plante-hôte. En revanche, il ne semble pas y manifester le phénomène de groupement social, pourtant observé sur d’autres végétaux (Fig.21 : d’après R.Gissenger).

Un tel comportement a été observé par l’auteur et Francis Marcou dans les seules stations mentionnées plus haut aux Avant-monts, toujours situées à une certaine altitude ( 300 à 600 m. environ).

 

       

                   Fig.17                                       Fig.18                                         ©  Fig.19

                                

                                     Fig.20                                                        Fig.21


A titre comparatif, deux  autres populations de Colchiques situées pratiquement en plaine, celle du Malpas (50 m.), sur Nissan, et l'autre à Cazedarnes (route de Pierrerue)(100 m.) n’ont jamais révélé à l’auteur une fréquentation par Spilostethus saxatilis, pas plus d’ailleurs, dans le premier cas que celle  de son congénérique, S. pandurus, pourtant observé tout près, à Colombiers (Fig.24) . Le Colchique de Naples semble exercer aussi un même effet attractif puissant sur Spilostethus saxatilis en dehors de notre dition loco-régionale. En effet, d'après Internet, il apparait aussi dans d'autres départements méditerranéens tels que le Var, à Roquebrune sur Argens, sur une image de Roland Lupoli (Fig.22) consacrée au seul Colchicum longifolium, la présence de la punaise y étant traitée comme fortuite.

 

Punaise, Fig.22
Fig.22

 

                                                                  
 

COMMENTAIRES

 

A - INFEODATION AU GENRE COLCHICUM

 

Dans un article tout récent un groupe de chercheurs allemands (Petschenka & al, 2022) a confirmé les liens étroits qui unissent la « Punaise à damier » avec le taxon emblématique du genre végétal, Colchicum autumnale. Ils ne font toutefois qu’évoquer leur extension possible à d’autres espèces du genre (« and maybe other Colchicum species »), sans jamais citer nominalement le Colchique de Naples, négligé semble-t-il dans toute la littérature consultée sur Internet.

 Ils ont étudié quatre espèces de « milkweed bugs » dont  Lygaeus equestris,  Spilostethus pandurus et S. saxatilis, tous  membres du clade des  Hétéroptères Lygaeinae associé ancestralement à la famille des Apocynaceae. En tant que polyphages, les deux premières, surtout Lygaeus, peuvent se nourrir sur de nombreuses autres familles de plantes, notamment les Asclepiadaceae, Asparagaceae, Brassicaceae, Plantaginaceae, Ranunculaceae,  produisant, par convergence ,des  cardénolides ou glycosides cardiotoxiques. En revanche, Spilostethus saxatilis, est obligatoirement associé avec les  Colchicaceae en l’occurrence Colchicum autumnale dont la colchicine n’a aucune parenté chimique avec les précédents. L’absence naturelle de cardenolides dans son organisme suggère que cette espèce a complètement dévié de leur usage pour adopter un nouveau mode chimique de défense, bien qu’elle tolère néanmoins ces glycosides lors d’un régime végétal en laboratoire (Espinoza, 2023). L’adaptation profonde du S. saxatilis au C. autumnale est indéniable. En effet, la colchicine, ainsi que d’autres  alcaloïdes apparentés (colchicoïdes) a été trouvée dans une trentaine de spécimens provenant de onze pays européens et d’Afrique du Nord. De plus, elle a été extraite des  œufs en quantité importante et l’on a pu même  constater des pontes dans des semences de Colchicum, ce qui prouve le degré considérable d’inféodation. Il n’est pas toutefois précisé, sur le plan anatomique, le lieu potentiel d’accumulation de la colchicine dans l’organisme de Spilostethus saxatilis : hémolymphe de sa cavité générale et peut être, ce qui serait beaucoup plus original, des compartiments tégumentaires spécialisés se situant sous la cuticule. Bramer & al.(2017) les y ont découverts  par microtomographie et par coupes histologiques transversales sériées à trois niveaux (Fig.23,C, d’après Bramer) notamment dans le genre voisin Oncopeltus, d’où la toxine, en l’occurrence un glycoside cardiaque, est extrudée lors de l’attaque par un prédateur avec effraction possible du corps de l'Hémiptère.

Punaises, Fig.23
Fig;23 - Série de trois coupes histologiques sagittales d' Oncopeltus passant par  trois niveaux différents du thorax.
 C, c
ompartiments cuticulaires sensés contenir les toxines. (d'après Bramer & al.)




B – AUTRES DEPENDANCES

De son coté, dans la droite ligne de son congénérique, Spilostethus pandurus se nourrit sur d’autres  plantes toxiques de  famille des Asclepiadaceae (Euw,des Solanaceae (Datura) et, comme mentionné ci-dessus,  des Apocynaceae telles que le laurier rose. Lorsque la punaise fréquente ce dernier (Fig.24), il a été trouvé dans ses tissus corporels deux héuticulairestérosides cardiotoniques, dont l’odoroside-H) (Euw & al.,1971) qu’elle est capable de « séquestrer » et ensuite de libérer par ses glandes, repoussant ainsi, au moins expérimentalement et sans doute aussi sur le terrain, les attaques d’autres arthropodes ( scorpions, mantes), d’ oiseaux  et de chat.


Punaises, Fig.24
Fig.24 - Spilostethus pandurus sur un fruit de Laurier rose (Colombiers)

Quant à Spilostethus furculus (Fig.15), non encore rencontré par l’auteur dans la dition et présenté ici seulement à titre comparatif, il se nourrit sur des Solanaceae très toxiques, notament le Datura  stramonium et surtout,  Solanum nigrum, d’où son nom vernaculaire « Punaise des Morelles » dont il pique les fruits verts pour aspirer le jus des graines, avec son rostre, absorbant ainsi des glycoalcaloïdes toxiques dont la solanine
En ce qui concerne à nouveau  Spilosthetus saxatilis
signalons qu’il n’a pas l’exclusivité de la colchicine pour assurer son métabolisme et sa défense, puisqu’il est démontré , dans un autre ordre d’ Insectes, les Lépidoptères, que celle du Lis de Malabar (Fig.8) est également séquestrée
par le  Noctuide Polytela gloriosae (Fab.). En tant que métabolite secondaire végétal, l’alcaloïde est présent dans la quasi-totalité du corps (Sajitha & al.,2019), aussi bien chez la chenille (Fig.25 ) que l’imago (Fig.26), tous deux arborant, ici encore, une livrée voyante, manifestement aposématique.

                        

Punaises, Fig.25
Punaises, Fig.26
Fig.25 -  Chenille de Polytela, vue latérale droite.
D'après Internet
Fig.26 - Imago de Polytela, ailes repliées, vue dorsale.D'après Internet

                                                                                  

CONCLUSION

Restant dans le vaste cadre de la super-famille des Pentatomoidea (infra-ordre des  Hémiptères Pentatomomorphes) et afin de combler une autre lacune du précédent article (Lopez,2003), il est bon d’ aborder brièvement les Cydnidae avec l’espèc Canthophorus melanopterus. On sait, rappelons le, qu’il est inféodé à Osyris alba, Santalacée hémiparasite dont les haustories spécialisées puisent des substances solubles dans de nombreuses autres plantes du voisinage. Certains de ces métabolites secondaires sont connus comme toxiques, notamment des alcaloïdes de la pyrrolizidine déjà évoqués dans deux autres articles (Lopez,2003,2016) tels la senecionine, la retrorsine, l’integerrimine et ceux aussi de la quinolizidine (sparteine, cytisine, lupanine, anagyrine (Woldemichael & Wink, 2002), sans compter l’osyrisine (Al-Jaber & al.,2010).  De ce fait et bien que souvent mise en doute, la toxicité du Rouvet pourrait bien être réelle, du moins pour les  prédateurs du « Canthophore à ailes sombres » qui doit puiser des alcaloïdes dans les fruits, dont il se nourrit assidument (Fig.27,28). Qui plus est, la livrée très voyante, rouge cerise et noire chez les larves (Fig.27), bleu-violacé métallique et blanche chez l’adulte (Fig.28), ne peut  qu’être aposématique, la forme de l’abdomen et sa couleur chez les premières, contribuant  en outre à les camoufler sur les fruits murs par phénomènes d’homochromie et homomorphie (harmonisations avec le milieu)

 

Punaises, Fig.27
Punaises, Fig.28
Fig.27 - Larve de Canthophore sur un fruit de Rouvet, vue dorsale
  Fig.28 - Adulte de Canthophore sur des rameaux de Rouvet ,
vue dorsale

                                      

                                                                                                 

Cet exemple, joint à celui des Lygaeinae souligne l’étrange biologie des Pentatomorpha axée, en bonne partie, sur leur défense contre les prédateurs et parasitoïdes.  La vénénosité est la partie la plus frappante de la stratégie multimodale de défense des Hétéroptères, incluant au premier chef l’aposématisme mais aussi, en confrontation  rapprochée, le fait capital et moins connu de leur toxicité. A cet égard, leurs substances chimiques plus ou moins léthales pour les prédateurs éventuels sont soit synthétisées par leur organisme, soit en ce qui nous a surtout concernés ici, empruntées par piqure rostrale à des plantes hôtes (« sequestration » des anglophones) suivant une coévolution complexe d’ Insectes spécialisés (Espinoza,2023) et, particularité biologique majeure, comblant une importante lacune dans le travail initial de l’auteur .

 

* Avec la participation de Francis Marcou :Fig. ©.

BIBLIOGRAPHIE

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Bramer,C.,Friedrich,F. & S.Dobler, 2017 -  Defence by plant toxins in milkweed bugs (Heteroptera: Lygaeinae) through the evolution of a sophisticated storage compartment. Systematic entomology, January 2017, Volume 42, Issue1 , p. 15-30.

Carayon,J.,1971.- Notes et documents sur l’appareil odorant métathoracique des Hémiptères. Ann.Soc.Entom.Fra nce.,N.S., 7 (4) , p.737-770.

Dooley, T.P. ,1939.- The influence  of colchicine on the germ cells of Insects  with special reference to the cytoplasmic inclusions. Proceed Iowa Acad.of Sciences, 46 (1), p.445-446.

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