LE PECTEN GLABRE
ET AUTRES COQUILLAGES MARINS TRÈS
APPRÉCIÉS DANS LE BITERROIS DURANT L’
ANTIQUITÉ.
LEUR ORIGINE PROBABLE
André Lopez *
Article figurant in
extenso dans le Bulletin
2020
de la
Société archéologique, scientifique et
littéraire de Béziers (p.45 à 71)
Pour en raccourcir la longueur trop importante, les 44 notes
explicatives placées après
le texte sont ici supprimées
ainsi qu'une partie des 47 illustrations
Elles peuvent être retrouvées dans l'original.
Site de la Société
: www.sasl-beziers.fr
Les noms importants sont en rouge dans le texte suivant.
I –Introduction
Depuis une trentaine
d’années, l’archéologie fait de plus
en plus appel à l’une des disciplines exploitant les fonds
biologiques des sites antiques, notamment les archives animales. Cette
archéozoologie, du fait de la décomposition de la plupart
des tissus, ne peut s’appuyer que sur les vestiges ou «
restes fauniques » que sont les parties très
minéralisés, notamment les os de Vertébrés
et surtout les coquilles des Mollusques marins beaucoup plus que des
terrestres. L’époque romaine étant
particulièrement riche en
ces « conchyliorestes
» , tant sur le plan qualitatif que
quantitatif,
ils nous permettront d’esquisser une restitution des environnements
marins
contemporains des sites archéologiques avec l’apport comparatif
de
leur présence lors des périodes néolithique,
médiévale et même moderne.
Bardot-Cambot et Forest
(2015) ont établi que les populations
n’ont pas pénétré profondément en mer
à la quête des coquillages jusqu’au début du XIXe
siècle et que les conchyliorestes résultant de cette
pêche dans un site archéologique donné sont donc
généralement issus d’un plan d’eau tout proche
impliquant un trajet direct, à fortiori s’il s’agit d’une
lagune.
D’après les mêmes auteurs, il s’avère qu’en
Languedoc méditerranéen, les indices malacologiques de
côtes sableuses largement ouvertes sur la mer et surtout, en ce
qui nous concerne, d’espaces palustres avec des zones vaseuses calmes
qui en dérivent par confinement, permettent une approche
zoologique de la configuration du littoral à
l’époque romaine. Ils suggèrent un ancien rivage aux
caractéristiques
générales très proches de son état actuel.
Or, durant des recherches complémentaires ponctuelles sur la
villa romaine de Vivios,l’auteur de ces
lignes y mit à jour
dans ses dépotoirs une quantité remarquable de
coquilles de Mollusques marins : le Pecten
glabre (Flexopecten glaber
), qui prédomine largement, l’
Huître
plate d’ Europe (Ostrea
edulis) et, moins abondants,
la Moule
(Mytilus galloprovincialis) et
les Coques (Cerastoderma edule
et glaucum), tous appartenant
à la classe des Bivalves
ainsi
que un Gastéropode,
le Cérithe
commun, Cerithium
vulgatum. Il retrouva également de tels conchyliorestes
sur
d’autres sites antiques jouxtant les actuels étangs de
Vendres
et de la Matte(Lespignan-Nissan), notamment près des
domaines
de Castelnau,
Clapiès et Ste Germaine, de sorte que leur transport
anthropique
depuis le Palus
dont dérivent ces lagunes s’imposait
dès
lors à l’évidence. Cela, d’autant plus que si
l’on
s’inspire du «principe de moindre effort et de moindre
pénétration
en mer » également évoqué par
Bardot-Cambot
et Forest (2015) à propos des Pectens de Camp-Redon ou
Redoun,
site néolithique vérazien prospecté sur
Lespignan,
le lieu de récolte ne pouvait être la côte en son
emplacement
actuel, distante de plus de 8 km. En revanche, « les
étangs
de Vendres et de la Matte, plus proches » apparaissent à
ces
auteurs comme « des sources potentielles d’approvisionnement.
»
sans qu’ils en apportent toutefois confirmation ni
étendent leurs
recherches à l’époque romaine. Il s’agit d’ailleurs
là de leur unique allusion aux étangs de notre secteur,
totalement ignorés par Bardot-Cambot
(2015) dans une compilation
aussi instructive que fastidieuse.
Nous allons présenter successivement les quatre espèces
de Bivalves
ou Lamellibranches,
encore vivantes de nos jours et qui
ont en commun
des particularités systématiques, anatomiques et
bio-écologiques, ces dernières les réunissant
depuis toujours dans un même milieu. La description des coquilles
sera évidemment privilégiée car elles permettent
seules une diagnose in situ des conchyliorestes 2 d’habitats antiques
et y font office de marqueurs biologiques.
II -La Tétrade des coquillages marqueurs d’un bras de
mer dans le Sud-Biterrois
L’ensemble des assemblages
est dominé en tous lieux
par le
Pecten glabre qui, depuis la Protohistoire, ici
délibérément négligée au profit de
l’Antiquité romaine, s’imposait presque partout sur la
scène locale et même au-delà, jusque
dans l’arrière pays. Les coquilles de chacun des quatre taxons,
seules
intéressantes en cette étude, présentent toujours
un
même aspect fondamental, qu’il s’agisse d’individus vivant
aujourd’hui en France sur le littoral (Huître, Coques, Moule) ou
dans l’étang de Thau (Pecten glabre), d’épaves
recueillies lors des curages de désenvasement dans
l’étang de Vendres ou de conchyliorestes sur les sites
gallo-romains.
1-Le
Pecten glabre Flexopecten
glaber
(Linné,1758), appelé autrefois Proteopecten glaber ou P.griseus , est un endémique
méditerranéo-pontique, faisant partie, comme la
«
Coquille Saint-Jacques » (Pecten
maximus), strictement atlantique, de la famille des
Pectinidae,ordre des Pectinida auxquels
les naturalistes gréco-romains donnaient déjà les
noms
de kteis (κτεις, κτενος)(Aristote, Histoire des Animaux) et
pecten
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle) traduits sans
ambiguïté par « peignes », appellation,
toujours en usage, préférable à «
Pétoncle », terme équivoque. Le Pecten glabre
semble aujourd’hui totalement absent du littoral sud-biterrois
où le remplace un genre voisin, l’Aequipecten opercularis, la
« Pageline », « Péchiline » ou
« Vanneau », d’ailleurs raréfié et de
commercialisation réduite. La coquille du Flexopecten glaber ,
de contour orbiculaire, large et haute en moyenne de 5 à 8
cm, présente deux valves convexes, l’une droite ou
inférieure, et l’autre gauche ou supérieure, à peu
prés équilatérales, la droite étant moins
incurvée que l’autre (coquille inéquivalve). Leur
face externe montre des lignes concentriques et est ornementée
par une sculpture dite costulée que forment de gros plis
arrondis, les côtes,
rayonnant en éventail depuis
l'extrémité dorsale, au nombre caractéristique de
9 dans la majorité des cas (Fig.1 ), rarement
moindre
(6-7) ou plus élevé, jusqu’à 10, du moins dans
notre matériel. Il existe parfois un net bombement
subapical délimité par une strie de croissance
profonde . La face interne montre l’empreinte centrale du muscle
adducteur et une ligne palléale arquée. Chaque valve
présente deux oreillettes, expansions lamellaires encadrant sa
partie apicale, l’une postérieure, petite et
triangulaire, l’autre antérieure, nettement plus
développée sur la valve droite, sub-
quadrangulaire et échancrée sur son bord
inférieur.

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Fig.1
- Pecten glabre, schémas des valves
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Fig.2
- Trois Pectens glabres, faces externes et internes. Villa de Vivios |
Fig.3
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Fig.4
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La coloration externe est ochracée à
rougeâtre chez les spécimens de sites antiques (Fig.2) et
souvent grise à noire chez ceux du fond d’étang12(Fig.3),
alors qu’elle varierait, sur le vivant, du rouge au blanc uniforme plus
ou moins bigarré de brun à violacé. La face
interne est de même couleur ou blanche, plus ou moins
nacrée. Les deux valves du vivant s’articulent dorsalement
autour de la charnière, presque sans dents et son
ligament antagoniste du muscle adducteur7.Sa « chair »7,
apparaissant sur le frais après ouverture de la coquille (Fig 4)
est bigarrée comme chez les autres Pectens de jaunâtre
(manteau), brun (branchies), beige et orange(gonade),
blanc-nacré (muscle adducteur). Le pied est rudimentaire et il
n’y a pas de siphon.
Ainsi décrite, la coquille du Pecten glabre, diffère de
celles de la « Pageline », Chlamys opercularis (Fig.5),
plus grande (6
à 9 cm), à valves montrant un plus grand
nombre de côtes radiées (16 à 20) et une coloration
extrêmement variable , et du «Pecten » ou «
Pétoncle Noir », Mimachlamys (Chlamys) varia
(Fig.6), de l’étang de Thau, à
côtes encore plus nombreuses (25 à 35),
hérissées de petites excroissances rugueuses et
à « oreillettes »
remarquablement asymétriques, l’une très grande et
l’autre
rudimentaire, les deux valves étant de couleur également
variable
mais plus sombre. Par ailleurs, la coquille du Pecten glabre ne
saurait
être confondue avec des fossiles 17
2 - Contrairement au taxon précédent, «
défunt » sur notre littoral15, l’ Huître plate d’ Europe
(Ostreidea : Ostreidae), s’y est perpétuée jusqu’à
nos jours en tant qu’Ostrea edulis 18, indigène des littoraux
européens, et seule présente sur notre côte
jusqu’en 1866, cohabitant dès lors avec l’ Huître
dite portugaise18. Encore appelée Huître sauvage ou de
Marennes, elle est la seule espèce qui soit,
comme épave, identifiable dans l’étang de Vendres, donc
in
situ et, en tant que conchylioreste, dans les habitats antiques, de ce
fait,
l’unique Ostréidée susceptible d’avoir été
rencontrée
à l’époque romaine.
La coquille d’ Ostrea edulis, généralement
décrite comme circulaire avec un contour plissé ou
crènelé, est
en fait très polymorphe, plus souvent oblongue, elliptique,
ovale ou
piriforme, de couleur extérieure blanche, jaunâtre,
crème ou gris brun, avec des bandes brun pâle ou
bleutées. Les deux valves ont une forme et une taille
différentes, la gauche ou inférieure étant convexe
et fixée au substrat par sa partie antérieure, le «
talon », tandis que la droite ou supérieure est presque
plate, assez mince et se loge, comme un couvercle ou un opercule,
à l'intérieur de la gauche beaucoup plus
épaisse, de structure feuilletée et crayeuse. Leur
surface externe irrégulière montre des lamelles
concentriques et, sur la gauche, peut être très rugueuse,
recoupée par des cannelures longitudinales. La surface interne
est lisse, blanchâtre ou gris bleuté et nacrée,
opalescente, la teinte générale virant au noir en fond
d’étang12 comme
celle du Pecten. La charnière est pourvue de petites dents et
fossettes
caractéristiques. L’empreinte de l’ unique muscle adducteur
n’est
pas colorée. La taille varie de 6 à 10 cm, parfois plus,
avec
un poids pouvant dépasser 500 g (Huitre dite «
pied
de cheval » car évoquant le sabot de cet animal).Sur le
vivant,
la « chair »7,bien connue de tous, exposée dans la
valve
creuse après ouverture, varie du beige crème au
gris
pâle. Il n’y a ni pied ni siphon individualisés.
3 - Les Coques (famille des Cardiidae) se rattachent en France
à
deux taxons d’un même genre : Cerastoderma edule, la Coque
blanche ou commune et la Coque glauque , Cerastoderma
glaucum souvent confondues tant leur ressemblance est grande et donne
toujours lieu aux hésitations des chercheurs qui esquivent
l’espèce dans leurs écrits en n’y mentionnant que
le seul genre, Cerastoderma sp.. Pour les « Zones
Doris », la Coque commune serait « très peu
présente
en Méditerranée », voire même absente, se
localiserait
à la mer du Nord, la Manche et l’ Atlantique alors que la
glauque
se rencontrerait pratiquement seule sur notre littoral, la diagnose de
Cerastoderma
edule lui étant donc attribuée à tort. En fait,
d’après
l’ étude régionale de Lambert (1943) qui la signale
notamment
à la Maïre et l’examen attentif de nos conchyliorestes
gallo-romains,
elle ne pouvait qu’être présente dans le futur
étang
de Vendres. Sauf erreur due à un polymorphisme trompeur du
genre,
elle semble même y avoir cohabité avec la Coque glauque
comme
en témoignent leurs coquilles-épaves11 recueillies dans
les
mêmes vases extraites par curage12.
La coquille des Cerastoderma est facilement reconnaissable
à ses deux valves égales, symétriques,
bombées, à sommet recourbé, formant un ensemble
rond, subglobuleux et cordiforme en vue latérale (Fig. ) ,
d’où l’étymologie du nom familial Cardiidae :
cardium = « cœur ». Chaque valve possède sur sa face
externe 22 à 28côtes rayonnantes croisées
extérieurement par quelques stries concentriques foncées,
dites d’accroissement. La face interne montre des sillons
correspondant aux côtes externes, les empreintes de deux
muscles adducteurs et de la ligne palléale.
La longue charnière dorsale articulant les valves porte de
fortes
dents et des fossettes s’emboitant sur le vif les unes dans les autres.
La
couleur externe globale de la coquille varie de beige à ocre et
l’interne
est principalement blanche, avec des zones brun-jaunâtre. La
taille
moyenne est comprise entre 1, 5 et 4 cm.
La confusion entre les coquilles des deux espèces devrait
être évitée si malgré les divergences des
descriptions, l’on tient compte que Cerastoderma edule (Fig. ) a
une coquille plus petite, plus épaisse, plus ovale que celle de
Cerastoderma glaucum , un peu trigone et surtout des sillons internes
moins longs, s'effaçant sans atteindre le sommet comme
chez ce dernier taxon19 (Fig. ).
Sur le vivant, la chair 7 est comparée à une
petite « noix » beige, un peu ferme, avec un pied
orangé et deux courts siphons7 coniques divergents.
4 - La Moule de Méditerranée, Mytilus galloprovincialis,
est considérée parfois comme une sous-espèce de la
Moule commune, Mytilus edulis 20 Abondante aujourd’hui encore dans le
secteur de Vendres-plage et l’embouchure de l’ Aude jusqu’au barrage
anti-sel, elle paraît
rare sur les sites archéologiques (Vivios) bien que s’inscrivant
dans
une tradition languedocienne (Bardot-Cambot,2015) , beaucoup moins dans
les
matériaux de désenvasement. Cette rareté
n’est en fait qu’apparente car liée à la grande
fragilité des
valves du taxon. De fait, la coquille de Moule
méditerranéenne est fine et vulnérable,
malgré son périostracum 20 épais,
oblongue, pointue à l'avant et nettement élargie à
l'arrière, presque quadrangulaire, avec deux valves
symétriques, bleu-violet, noires ou brun foncé et
montrant de fines côtes extérieurement, d’un
blanc-bleuâtre nacré à l’intérieur.
Caractère particulier, la pointe de la coquille est
légèrement repliée et son umbo20 s’incurve en
crochet rendant la ligne basale légèrement concave. Les
deux valves, à charnière courte, sans dents, sont
appliquées étroitement l’une contre l’autre par
contraction musculaire, mais laissent passer le byssus7, bouquet de
filaments souples, très résistants et à
extrémités collantes. La longueur peut dépasser 10
cm. Après ouverture de Mytilus galloprovincialis vivant,
la « chair » montre deux muscles adducteurs, un
manteau bordé de noir violacé, ,
la glande digestive brun-vert, le pied dont une glande
sécréte le byssus et la "bosse de Polichinelle »
contenant les gonades, orange chez la femelle, beige chez le mâle.
5 - Ecologie et Biologie
Les quatre Mollusques de cette étude partagent des traits
anatomiques communs en tant que Bivalves ou Lamellibranches7 mais aussi
les mêmes conditions écologiques dans le milieu qui
les abrite tout en y conservant un comportement qui leur est
propre. Ils peuvent vivre en mer ouverte, toujours à faible
profondeur, près de la côte (étages infra et
médio-littoraux), avec une forte salinité, mais aussi
s’accommoder des milieux plus fermés, les estuaires et les
lagunes3 où le taux en sel fluctue car ce sont des organismes
dits
euryhalins ou halotolérants 21pour lesquels une ambiance
lagunaire est la plus favorable. Isolés ou en bancs, les quatre
Mollusques vivent à faible profondeur au contact du substrat
lagunaire, le Pecten, l’Huitre, la Moule gisant latéralement et
la Coque seule s’y enfouissant.
Comme la Coquille Saint Jacques et la Pageline en milieu marin,
Flexopecten glaber repose sur le fond par sa valve droite ou
inférieure, y recherchant peut être un sol sablo-argileux
riches en nutriments comme
en Méditerranée orientale et, en Tunisie, dans la lagune
de
Bizerte. Libre, il est susceptible de se déplacer en
zigzag par
ouverture et fermeture rapide des valves22. Il est à souligner
que
deux échancrures du bord des valves les empêchent
d'être
jointives et laissent entrevoir le corps de l'animal, qu’il gise in
situ
ou après sa capture. Les Pectens ne conservent donc pas leur eau
comme
les trois autres Mollusques, de sorte qu’ exondés, ils ne
peuvent
survivre au-delà de quelques heures.
L’ Huître, pour sa part, choisit dès l’état
larvaire 7 un substrat variable, souvent rocheux, comme il
en subsiste dans l’actuel étang de Vendres, mais aussi graveleux
et même vaseux. Elle y repose librement ou groupée en une
population dense, collée sur ce support définitif par le
talon de sa valve inférieure (cette fois la gauche),
soudée aux rochers, bien souvent à d’autres huitres
(Fig. ) ou même à un coquillage différent , qu’il
lui adhère encore (Fig. , ) ou s’y soit «
imprimé » en négatif (Fig. ) comme Bardot
(2011,2015) l’a décrit sur Port la Nautique. A cette faune
incrustée s’ajoutent les traces d’ organismes d’un tout autre
embranchement, qu’ils soient logés dans la coquille ou à
sa surface23. L’ Huître est d’ailleurs une espèce «
ingénieur » capable de créer sur le fond un habitat
favorable à de nombreux autres organismes, formant
des mini-récifs , véritables oasis de
biodiversité. La
morphologie de la coquille serait conditionnée par le
rapprochement en groupe, la configuration du substrat et la
turbulence des eaux. Auquel cas, le constat in situ et dans
les dépotoirs antiques d’une prédominance des
formes arrondies à lamelles saillantes (Fig. ) sur les formes
allongées à surface « abrasée » (Fig.
) ainsi que la rareté des valves à talons
soudés (Fig. ), évoquent plus des individus
isolés que groupés en bancs, donc
développés sans contrainte, et vivant en eau
calme sur un fond envasé comme pouvait seul l’offrir
l’environnement lagunaire24.
Les Coques, répandues sur la quasi-totalité du littoral
français sont des Mollusques fouisseurs et vivant
enfoncés dans le sable ou la vase, un sol gras et ferme sous une
eau morte étant leur habitat d’élection (Lambert,
1943)25. Ils le forent avec leur pied, robuste et incurvé,
s’enlisant dans les 3 premiers centimètres, donc très
prés de la surface mais pouvant s’enfoncer d’avantage en
le rétractant, les deux siphons7 restant seuls visibles
extérieurement.
La Moule méditerranéenne bien connue de tous est
présente en bancs serrés le long du littoral, en
milieux peu profonds, inférieurs à 1m,50, aussi bien dans
les eaux éclairées et battues que dans les habitats
calmes liés à la mer par des graus3 et où la
salinité est variable. Espèce sessile, elle y vit
fixée par son byssus7 aux substrats solides comme la roche ou
d'autres coquillages.
Si l’on excepte le Cérithe commun8, Gastéropode brouteur
se nourrissant surtout d’algues, tous les autres sont des taxons
Bivalves filtreurs, pompant l’eau de mer, les Coques avec leurs
siphons7. Ils entretiennent ainsi un courant d’eau assurant
l’alimentation, surtout à partir du plancton, capté par
filtration (« suspensivores actifs » et microphage
omnivores) mais aussi la respiration avec absorption d’oxygène
via les branchies.Ainsi se comportent les coquillages encore vivants de
nos jours mais dont les restes étaient déjà
présents dans les habitats gallo-romains. Flexopecten glaber
est, sans
conteste, le plus remarquable d’entre eux car ainsi que nous l’avons
déjà
souligné, sa découverte à l’état de
conchyliorestes2
est devenue récurrente depuis qu’on le met à jour,
fortuitement
ou par recherche délibérée dans les substrats de
sites
gallo-romains au sud-ouest de Béziers et, qui plus est,
loin
au nord de la ville.
III -Sites archéologiques à conchyliorestes dans le
Biterrois
Dans le Sud Biterrois, les habitats étudiés se
situent sur les communes de Nissan, Lespignan et Vendres (cartes
1à3), à proximité plus ou moins immédiate
des deux étangs homonymes, la localisation de ces sites
gallo-romains n’ayant été rendue possible, dans la
plupart des cas, que grâce au savoir de J.C.Rieux (Valras).
Sur Nissan, la villa du Petit Marignan (carte 1,n°1),
située à flanc de colline en surplomb de l’étang
de la Matte présente des murs émergeants, en petit
appareil, et à leur contact, un
dépotoir pentu largement ouvert (Fig. ), montrant
une quantité
pharamineuse de pectens glabres touts stades confondus, de taille
souvent
réduite (Fig.), prouvant qu’en cet habitat, l’édit de
Dioclétien
26sur le gaspillage n’avait guère été
respecté,
qu’il lui fut antérieur ou contemporain.
Tout près de l’entrée ouest de Lespignan, l’emplacement
de la villa du Puech Oré (carte 1, n°2), est
particulièrement riche en Pectens, eux aussi de touts stades,
plus ou moins mêlés à des tessons (Fig. ).
Dans la villa de Vivios 5(carte 2,n°3), au sud de Lespignan,
il a été extrait de trois dépotoirs (A.L, 2018)
une grande quantité de valves du Flexopecten glaber,
mêlées à des coquilles d’Huître plate , de
Moules, de rares Coques, de quelques Cérithes (Fig. ) et
à des tessons de poterie résiduels signant leur
authenticité.
Malheureusement, seule une cinquantaine des coquilles recueillies
étaient intactes (Fig.), toutes les autres plus ou moins
amputées, peut être par les fouilleurs, ou
dégradées par des racines de cyprès.
Quelques 400 m à l’ouest du même site, au niveau de
l’ancienne source, dite de Valère, les fragments d’autres
Pectens ont été mis à jour dans la terre entre des
blocs de démantèlement (A.L.,Mai 2019)(Carte 2,n°4).
Plus à l’est, cette fois, sur la Barre du Puech
blanc(carte2,n°5), où une population d’ Uvette (Ephedra
distachya) inaugura des recherches ultérieures (Lopez,20 19) sur
cette
plante étrange de bord de mer, Giry
( in Ugolini et Olive,2013), aurait découvert des «
citernes » creusées dans la roche de ce beau promontoire
surplombant directement
l’étang de Vendres, l’une d’elles (Fig. ) comblée par des
coquillages,
avec 10% d’Huitres pour 90% de « Pagelines », en fait des
Pectens
glabres, enfouis aujourd’hui sous les déblais de terriers de
blaireau
(Fig. encart) d’où quelques valves ont pu toutefois être
extraites
(Fig. ).
Encore plus à l’est, en limite du Puech Blanc et du
Domaine de Castelnau un dépotoir a été
découvert fortuitement sur le versant occidental de l’Etang rond
ou Redon (carte2,n°6), lors de sondages pédologiques
(Décembre 2018) à l’initiative de Patrimoine et Nature
(Vendres). Situé dans un terrain molassique à environ -
50 cm de profondeur (Fig. ), ce gisement, jusque là
inviolé mais trop vite enseveli, se composait d’Huitres peu
nombreuses (Fig. ), d’une quantité impressionnante de
Pectens glabres, presque
tous très bien conservés (Fig. ) et d’un matériel
d’aspect
« cendreux » associé à des pierres
ébauchant un muret disjoint. Toutefois, contrairement à
Puech Oré etVivios, il est regrettable que des tessons de
poteries n’aient pas été mêlés in situ
à ces conchyliorestes pour en permettre la datation,
Néanmoins la grande taille des valves du Flexopecten glaber
sur ce site pourrait permettre de rattacher son dépotoir
à
l’époque romaine plutôt qu’au Néolithique final10
Au nord des « Bains », à Puech Blanc 1
(carte2,n°7) des Pectens, des Huitres, Coques et Cérithe
(Fig. et )ont été récoltés en bord de
chemin jonché de tessons dans le dépotoir d’une villa
éventrée à murs saillants dans le talus.
Sur le plateau de Vendres, terrasse quaternaire alluviale de l’ Orb
à galets caractéristiques (Fig. ) , il a
été récolté tout près de
Sainte-Germaine (carte3,n°9) un grand lot de
Pectens glabres (Fig. ) et surtout de Cerastoderma edule (Fig. ) dans
une vigne labourée sur emplacement de villa romaine riche
en tessons(A.L, Février 2019)
Plus au nord, sur Jaussan (carte3,n°10), des Pectens glabres et des
Cerastoderma étaient également présents (Fig. ).
L’Huitre
manquait sur ces sites mais aurait
abondé en contrebas du second27.
Au nord-est du domaine de Ste Germaine et près de celui de
Clapiès, l’auteur a également recueilli des Pectens
glabres sur un autre emplacement de villa au lieu-dit «
Perrier-Grand Figuier » (carte3,n°11), au demeurant fort
riche en mobilier.
A Vendres même, un dépotoir de conchyliorestes semblables
a été découvert lors de travaux de terrassement
à environ 100 m du Portail Vielh aujourd’hui
démantelé (J.Sierri, com.pers.).Aucun mobilier antique
n’ayant été vu avec ces Pectens, une datation
moyenâgeuse reste toujours possible.
Au nord ouest du village, un autre lieu de découverte des
conchyliorestes se situe cette fois à distance du Palus :
Sclatianum (carte 2,n°8)
,grande villa romaine, sise également sur la commune , à
Saint-Bauzille
d’Esclatian ( la Savoie), ayant fait l’objet de fouilles sous le nom de
«
Primuliac » (Mouret 1907)28. Guy Diaz (com.pers) y a
observé
dans les déblais des valves de Pecten ainsi que des
tesselles
issues d’une mosaïque près du « grand mur ».
A Béziers même et ses environs immédiats, des
coquillages, le Pecten glabre en majorité écrasante,
mais, semble-t-il pas de Coques, ont été recueillis lors
de fouilles sur sites romains et moyenâgeux.C’est ainsi qu’ en
contexte urbain de la première moitié du Ve siècle
on a dénombré dans l’ « îlot Maître
Gervais, US 42 » 2696 pectens, 74 huîtres, 6 moules et 3
bucardes et en contexte urbain de la 2e moitié du VIe s.
(« îlot Maitre Gervais, US 59 », 82 pectens, 20
huîtres, 1 bucarde, 3 donax, 2 cérithes, 1 moule. Enfin,
en contexte semi rural, sans occupation antérieure pour
éviter la résidualité de rejets antiques par
exemple (Saint-Jean d'Aureilhan, fouille de l'aire d'ensilage IXe-XIIe
s) 814 pectens, 207 donax tr., 36 huîtres, 2 moules, 1 amande et
1 cérithe ont été dénombrés
(E.Gomez, com.pers.).
Au de là, s’étend l’arrière-pays
défini, selon Bardot et Forest (2015) comme la
région couvrant une trentaine de kilomètres
à partir de la côte. Nous évoquerons ici tout
particulièrement les Avant-Monts avec le Saint-Chinianais
(Carte 4) aussi attractif par son environnement naturel que par ses
Dinosaures, sa préhistoire et ses habitats gallo-romains
recélant, eux-aussi, des conchyliorestes que domine toujours le
Flexopecten (Planche) La présence de ces coquillages
marins à l’intérieur des terres et en des lieux
déjà éloignés du littoral, aurait
pu susciter, comme ailleurs dans la Gaule romaine, l’une de ces
controverses du XIX e siècle qui en faisaient des fossiles29
(Bardot-Cambot,2014) et impliquant alors un transport de Mollusques
vivants ou que leur état de fraicheur permet encore de
consommer. Le mobilier qui les accompagnait régulièrement
comportait des céramiques sigillées, souvent
décorées, provenant de la Graufesenque30. (Planche
1, F.Marcou)
Prés de Saint –Chinian, au lieu-dit « Notre Dame de
Nazareth » (carte 4,n°1) une villa romaine fut établie
vers le sommet de « la corne » et recélait un
abondant mobilier, énuméré, d’après
Fédière, par Ugolini et Olive (2013) sans y signaler
de coquillages. Lors de ses propres recherches sur ce site
abandonné, F.Marcou a recueilli des tesselles en
pâte de verre, des défenses , de sanglier et un
fragment de céramique montrant un petit gladiateur à
armatura de Thrace. (Pl.), les valves de très nombreux Pectens
(Fig. ), celles de l’ Huitre plate et même un conchylioreste de
Callista chione (Fig. ).Au Hameau de Fontjun , une
première villa établie sur la parcelle dite « Vigne
Marty » (carte 4,n°2 ) et une seconde, sur celles
« Champ de Rives » et du « Rajal » (carte
2,n° 3,4) lui ont livré le Pecten glabre ainsi que les
restes d’autres Mollusques (Fig. ) : Mytilus galloprovincialis,
Cerastoderma edule et même Glycymeris glycymeris, l’ Amande de
mer14. Au sud de Cébazan, près du Portel ,
F.Marcou a retrouvé d’autres Peignes et une Huitre, au
lieu dit Ancienne vigne de Calas (carte 2,n°5). Sur Pierrerue, dans
le « bois » homonyme (carte 2, n°6), le Pecten
était encore présent avec un zooreste de mammifère
(défense de sanglier).Enfin, en contrebas de St Baulery et du
Puech de la Cour (carte 2,n°7 et 8 ), ses prospections ont
à nouveau confirmé la présence de Flexopecten et
de
Cerastoderma.
A l’est du Saint-Chinianais, sur le piémont des collines de
Faugères, la villa romaine du Château de Coujan,
près de Murviel, a livré lors de ses fouilles (1960..)
quantité de Pectens glabres (Florence Guy, com.pers.).
Il doit exister bien d’autres sites à conchyliorestes
vendro-lespignanais dans la suite des Avant-Monts et au delà, en
Montagne Noire, tout un
territoire qui confirmerait que les Bivalves aient pu être
acheminés beaucoup plus loin en Occitanie, jusque à Bram,
dans l’ Aude, et même en Haute-Garonne dans la grande villa
romaine de Montmaurin. Labrousse (1959) est d’avis que l’essentiel de
sa « faunule malacologique » provenait du littoral
languedocien et Fauvel (1986), sans aucun doute du Lacus rubresus
, donc, en ce qui nous concerne, et s’il ne s’agissait pas d’une
collecte narbonnaise (La Nautique), du Palus Helice.
IV - Origine des coquillages de sites antiques : le Palus
Hélicé
Il s’avère que dans le Sud Biterrois deux preuves
tangibles de l’existence d’un ancien bras de mer peuvent être
empruntées aux Sciences de la Vie : une plante de littoral
sablonneux, l’Uvette, Ephedra distachya ,confirmation botanique
irréfutable (Lopez, 2019), et des Mollusques lagunaires,
notamment le Peigne glabre.
En ce qui concerne ce derniers et compte tenu, sous toutes
réserves, d’une hypothèse de Bardot-Cambot et
Forest (2015) sur le Néolithique final de Camp-Redoun
(Lespignan), leur pêche par les habitants des sites
antiques confirmerait l’existence même de ce Palus9 avec
son
calme et ses fonds vaso-sableux propices à la
prolifération malacologique4 lors de la Protohistoire et
de l’Epoque romaine. Il ne fait effectivement aucun doute qu’existait
alors une avancée marine plus impressionnante que le
paysage évoqué par les auteurs sus
mentionnés. Rappelons l’étrange tableau brossé
à grands traits dans une précédente note (Lopez,
2019). Le bas des sites archéologiques sur Vendres, Lespignan et
Nissan, était baigné par un immense plan d’eau,
étale et uniforme suivant les courbes de niveau
inférieures par ses lignes de rivage. En inversant, pour varier,
l’ordre déjà adopté, rappelons qu’à
l’ouest ce Palus9 bordait le bas du versant oriental
de la Clape jusqu’à son ouverture sur le large. A
l’est, il était dominé, depuis la mer, par le
plateau de Vendres ; au nord
par une succession de reliefs molassiques tertiaires
s’étendant de ce village jusqu’à Lespignan ; au
delà par la série des collines de Nissan sans
atteindre toutefois l’ étang de Capestang31.
Enfin, côté sud-ouest, il était limité par
la
terrasse alluviale de Coutelle édifiée par l’Aude
près de Coursan et dont on ne sait encore si elle était
continue, rejoignant alors le massif de la Clape (in
Lopez,2019).
Tout porte à croire qu’il s’agissait là du Palus helice
ainsi baptisé, au IV eme siècle de notre ère
par le romain
Rufus Festus Avienus (in Lopez,2019).
La présence des Pectens et des Huîtres dans le Palus
pouvait être déjà soupçonnée
d’après des écrits modernes. C’est ainsi
qu’évoquant notre région à propos des coquillages
de Montmaurin, Labrousse (1959) estime que les Huîtres
«existaient à l'état naturel sur les
côtes du Bas-Languedoc »où l'Antiquité les
connaissait sous le nom d' « huîtres de Narbonne ».
Fauvel
(1986) localise le gisement principal d’origine dans le « Lacus
rubresus
ou rubrensis… lac qui par la suite donna naissance aux étangs
actuels
de Bages et Sigean», ainsi –aurait-il pu préciser -qu’au
Palus
Helice, d’autant que Vendres figure sur sa carte. Mais il faut remonter
à
un auteur antique, le « bordelais » Ausone ( IVe
siècle)32
pour découvrir cette fois une évocation directe de cette
localité.
Bien que préférant de beaucoup celles du Médoc, sa
région
natale, il a fait en vers les éloges des Huîtres de
Narbonne
en citant sans ambages leur lieu de production : « Proxima sint
quamvis,
sed longe proxima multo Ex intervalle, quae Massiliensia, portum Quae
Narbo
ad Veneris nutrit... ».« Celles qui en approchent le plus,
mais
qui n’en approchent qu’à une énorme distance, sont les
huîtres
de Massilia ; celles que Narbo « engraisse » [«
nourrit
», « entretient », « soigne »] au port de
Vénus….
»
Ainsi désigne-t-il Vendres, du moins son Palus, en tant
qu’habitat pour les Huitres et, qui plus est, comme un lieu
d’élevage33. L’excellence d’un tel milieu, plus ou moins
envasé, calme, avec une faible turbidité et une possible
dessalure liée à des apports d’eau douce a
été exprimée d’ailleurs par Pline l’ Ancien (XXXII
– XXI) : « … gaudent dulcibus aquis et ubi plurimum influant
amnes; ideo pelagia parva et rara sunt. » « Elles se
plaisent aux eaux douces, et aux lieux où plusieurs fleuves se
jettent dans la mer; aussi
celles de la haute mer sont petites et peu nombreuses ».
Aujourd’hui, la présence du Pecten, de l’Huître plate et
des Coques se trouve directement confirmée sur
l’emplacement même du Palus (A.L.,Mars et Avril 2019). En
effet, des valves de Flexopecten ont été exhumées
de sédiments fraichement labourés pour l’installation de
plantiers dans l’étang de la Matte, en contrebas de Vivios5
(Fig. ) ainsi qu’aux abords de l’ex source Valère ( Fig. ). Il
semblerait que la Moule, déjà connue du
Néolithique final sur Lespignan 10, y ait été
également observée à Gouldeau (Christian Rech,
com.pers.) : d’une part en profondeur, réunie en banc,
apparemment in situ sur des rochers, lors de sondages
effectués près de la Clotinière pour
l’installation des
piliers actuels du pont de l’autoroute A9 ; d’autre part
accumulée, peut être en dépotoir, dans la garrigue
située au nord de la première des carrières et de
la source voisine.
Par ailleurs, une quantité beaucoup plus grande de
coquilles-épaves 11 des quatre taxons, souvent avec une teinte
noirâtre liée à
un séjour prolongé en milieu réduit comme dans
l’étang
de Berre12, a été découverte dans celui de Vendres
(A.L.,Mars
à Novembre2019), d’abord sur la rive est, dans un
creusement
d’embarcadère en contrebas du plateau. La richesse de ce lieu en
Coques
Cerastoderma (Fig. ) pourrait être expliquée par la
présence
de sources puisque , selon « Doris », l’ «on
peut
remarquer de grandes densités d'individus à
proximité
d'un apport d'eau douce ». Du pied du plateau , elles
pouvaient
être transportées presque directement dans ses villae,
notamment
à Ste Germaine et Jossan. Ultérieurement , des
quantités
extraordinaires de coquilles- épaves11 ont été
retrouvées
au sud des Thermes de Vénus dans les amas de vases
extraites
du canal voisin par dragage (Fig. )33. Comme en d’autres lieux, tels
que
le Lacus rubresus narbonnais le Pecten glabre, l’Huître plate,
les
Cerastoderma et la Moule cohabitaient avec d’autres taxons
(Bardot,2011).
Mais au lieu d’Anomia et Nassarius, il s’agissait
d’espèces connues
comme recherchant aussi, sur substrats vaso-sableux, les eaux peu
profondes
et légèrement saumâtres des lagunes ou
futurs
étangs littoraux : la Bucarde tuberculée (Acanthocardia
tuberculata),
la Palourde commune (Tapes decussatus), et la Telline ou Flion
tronqué
(Donax trunculus)(Fig. ) trouvées dans les vases 12. En Novembre
enfin,
un autre curage du long canal dit « de
démoustication
» situé dans le lido face aux Sablières, à
l’extrême
Sud de l’étang de Vendres (dit « Les Rizières
»,
a montré que les Pectens glabres, d’abord largement
dominés
par les Huîtres, Moules, Cérithes, Coques, auxquelles
s’associaient
des Mactres (Mactra glauca, Mactra sp.), la Dosinie radiée
(Dosinia
exoleta), l’ Amande de mer (Glycymeris glycymeris), la Cyclonasse
(Cyclope
neritea), un Couteau (Solen) et deux Murex43, le « Rocher »
(Murex
brandaris) et le Cormaillot (Ocenebra erinacea), devenaient de plus en
plus
nombreux en remontant le canal. On peut en déduire que les 8
dernières
espèces, surtout maritimes et intertidales (étages
médio
et infralittoraux), avaient vécu là dans une eau
agitée
et salée, le Palus s’y ouvrant en pleine mer ou du moins
par
un grau3 spacieux tandis que Flexopecten , adapté à un
milieu
calme et saumâtre, tendait à se réfugier plus au
nord,
en pleine lagune.
Une confirmation indirecte est apportée non seulement par
le mortier des thermes de la Villa de Vénus incluant Coques et
Pectens(Fig. à ) et celui de l’un des piliers de Vivios5
où furent incorporées quelques valves lors de leur
confection (Fig. ), y compris celle d’un fossile (Fig. ),
pratique bien discrète par rapport à Font de Rome (Aude)
34 mais aussi, et surtout, par l’omniprésence des
conchyliorestes1 de consommation dans la quasi-totalité des
sites gallo-romains du voisinage tant sur Vendres que Lespignan,
à Béziers même et au nord de cette ville où
le Pecten fut transporté dans un but commercial probable.
V – Commentaires
Nous avons présenté un ensemble de coquillages marins
dont les vestiges se retrouvent aussi bien dans les étangs
actuels de la Matte et surtout de Vendres, emplacement du Palus , que
dans les habitats gallo-romains du voisinage et, plus au nord,
jusqu’à l’orée des Avant-monts. Seule nous importait la
présence des Bivalves et non
leurs comptages approfondis (Bardot-Cambot, 2015), trop lassants pour
le
lecteur, que nous l’ayons constatée en pleine nature, donc in
situ dans l’aire du Palus , ou que nous l’ayons retrouvée
plus ou moins loin du littoral en milieu archéologique,
attestant indubitablement leur récolte antique, surtout pour
consommation.
Soulignons d’abord que la région de Béziers n’a pas
l’exclusivité des conchyliorestes2 marins culinaires. En effet,
le Pecten glabre, l’Huître plate, la Moule et parfois les
Coques ont été également trouvés dans
les habitats gallo-romains d’autres localités
méridionales,
divers exemples d’accumulation de coquillages pouvant être
cités
de l’actuelle Occitanie et de la Provence. C’est ainsi que tout
près
de nous, à l’ouest de la Clape, donc dans l’Aude, ils font
partie
des assemblages issus de Port-la-Nautique et de Narbonne même
(Bardot,2011)
mais il s’agit là d’un contexte paléohydrologique commun,
la
provenance des coquillages étant le Lacus rubresus, dans sa
partie
occidentale, à savoir l’emplacement des étangs
actuels
de Bages et Sigean. A l’est du Biterrois mais toujours dans
l’Hérault,
semblables conchyliorestes2 ont été découverts
près
de Montagnac dans la Villa de Lieussac, le Pecten et
l’Huitre
se partageant à égalité un lot de
coquillages
provenant de l’étang de Thau voisin, « Caractère
scientifiquement
intéressant de l’ image ponctuelle d’une situation habituelle
»
(Mauné & al.,2006). Plus loin encore, mais cette fois en
Provence,
on a trouvé aussi le Peigne glabre et l’Huître plate
à
Aix et dans d’autres habitats où Flexopecten pouvait
prédominer,
allant jusqu’à représenter plus de la moitié des
coquillages
(près d’Orange : Brien-Poitevin,1996).
L’exploitation du Palus puis des étangs a débuté
durant la protohistoire, à la période du
Néolithique final (Vérazien)7
avec le site de Camp-Redoun, sur Lespignan (Forest, 2010 ;
Bardot-Cambot
& Forest,2015) et aux âges des métaux, notamment du
Bronze
final II languedocien, avec l’habitat de Portailh Viel (Vendres)(
Carozza
& al.,2017) qui a livré des coquilles de Moules,
d’Huîtres
ainsi que des mandibules de Daurade, leur prédateur. Cette
exploitation
se poursuivit ensuite durant toute l’ Antiquité, sur une
durée
dont peut témoigner la villa de Vivios5 pour se terminer au Bas
Moyen
Age. Tout laisse supposer qu’elle a porté sur des gisements de
Moules
et des huitrières naturelles car le talon des valves gauches des
Ostrea,
aussi bien in situ que dans les habitats, n’a pas
révélé
d’empreintes évoquant des supports artificiels (pieux,
planches,tuiles),
les seules identifiées étant décrites plus haut
dans
la rubrique bio-écologique. L’homme n’est donc certainement pas
intervenu
dans le processus de fixation du nessain et l’hypothèse d’une
ostréiculture
que pourraient suggérer les vers d’Ausone comme ailleurs dans l’
Empire
, certaines allusions d’Oribase, Martial et Sidoine Apollinaire n’est
étayée jusqu’ici par aucune preuve matérielle35,
du moins dans notre dition. Il en est de même pour une
éventuelle « mytiliculture »36.
De Vendres à Nissan, l’exploitation devait être
dépendante des nombreuses villae et métairies
bâties dans la zone du Palus à priori
répulsive par ses rivages marécageux mais donc les
franges se prêtaient fort bien à des
activités multiples avec leurs basses collines cultivables
et permettant le pâturage des animaux en garrigue. L’exploitation
des coquillages du Palus en représentait un complément
important sur le plan économique, peut être
associée à celle du sel, et impliquait
techniquement une
série d’étapes.
1 – La récolte a pu se pratiquer près du rivage comme
ultérieurement par les Vendrois et les Sérignanais
du Moyen Age (XIV e s.), « à pieds et avec les mains, mais
sans filet de pêche » (Mukaï,
2019). Pareille collecte, ne concernant alors que les Moules et les
«
Foulègues » n’était possible qu’à faible
profondeur
et impliquait une vue directe à travers des eaux claires, les
secondes
(Coques) repérables à leurs siphons. Bien que les
données
archéoconchyliologiques ne donnent aucun indice précis
à
ce sujet (Forest, 2002 ; Bardot, 2011) mais si l’on extrapole au
passé
des techniques contemporaines, un outillage rudimentaire
approprié37
a pu être aussi utilisé pour la collecte. Contrairement
aux
autres coquillages, les Pectens gisant sur son fond près de la
rive,
étaient pour leur part de capture plus difficile,
car
ils « voyaient » le pêcheur s’approcher
et
se dérobaient en claquant leurs valves comme le soulignait
déjà
Aristote. D’après ces allusions Forest (2002), a
évoqué
l’usage d’engins comparables aux arselières à
Palourdes
de l’étang de Thau, certaines valves étant«
percées
d’un trou plus ou moins excentré, de forme et dimension
variables
» provoqué par une dent métallique de l’appareil.
En
fait, aucune des coquilles retrouvées sur les sites,
notamment à Castelnau et Marignan ainsi qu’à
Béziers et Saint-Chinian, ne montrait de telles perforations. Il
y a donc lieu de supposer que les Pectens
glabres étaient récoltés à la main, ce qui
implique
une certaine dextérité 22, avec une épuisette ou
mieux,
à la drague, avec chassis et filet, exposant
à
une collecte aveugle de tous les stades comme pour Marignan et Puech
Oré.
En revanche, pour atteindre les gisements de Moules et d’Huîtres
plus
éloignés du rivage, on peut évoquer l’usage
d’embarcations à faible tirant d’eau38, les engins de
pêche étant alors longuement emmanchés.
2-Pour le transport de proximité les coquillages étaient
recueillis, selon toute vraisemblance, dans des paniers en vannerie de
Joncs (J.maritime,des chaisiers), Phragmites ou osier
(Saule), peut être enveloppés d’algues, et
acheminés ensuite à mains d’homme ou par des animaux de
bât, dans des abris temporaires sur le rivage du Palus ou
directement dans les villae, métairies et leurs
dépendances .
3 – Le stockage aurait pu être réalisé dans des
réservoirs à eau ou des cuves de salaison
bétonnées comme celles de Provence, de Saintonge et,
pourquoi pas, sur Vivios même ( ex « Viviers ») dans
le « bassin » et la « piscine froide ». Selon
trois auteurs cités par Labrousse (1956), les «
ostréiculteurs » de Gaule romaine auraient même
trouvé « l’art d’entrainer les huitres à vivre hors
de l’eau de mer et à conserver leur fraicheur » dans
d’authentiques viviers, non seulement près de Saintes mais
très loin aussi à l’intérieur des terres
(Niort,Poitiers,Clermont), une garantie pour les transports à
distance. Moules et Coques ont pu également s’adapter à
une eau presque douce
4 - L’ouverture des coquilles aurait été
mécanique, par passage forcé d’une lame de couteau entre
les valves pour trancher le muscle adducteur7 et retirer la chair7,
provoquant des encoches, entailles et éraflures visibles sur le
bord et la face interne (Bardot-Cambot, 2015). En fait, ces signes de
brisures ne sont visibles que sur de rares valves
d’huître plate (Fig. ). Dans le cas du Pecten, Forest (2002
:
Fig.2) évoque, sans en être assuré, une seule
trace
de couteau. De plus, bien que l’ouverture, du moins en Provence, soit
sensée
possible en cassant les oreillettes (Brien-Poitevin,1996), celles de
nos
récoltes étaient pour la plupart intactes, surtout
l’antérieure,
très fragile. En revanche, les Moules auraient pu être
coupées
au moyen d'un instrument tranchant en biais. Une hypothèse
commune,
toujours d’actualité pour les Cerastoderma demeure l’ immersion
dans
des récipients remplis d'eau froide salée où les
coquilles
s'ouvraient petit à petit pour laisser dégorger le sable
ou
la vase et étaient ensuite rincées puis
égouttées. L’ouverture des Huitres par la chaleur a
été également évoquée.
4 -L’utilisation culinaire dans les sites archéologiques du
littoral biterrois et au-delà ne doit pas surprendre
.Comme le souligne Labrousse (1959) à propos de la villa de
Montmaurin (Haute-Garonne), le moindre habitat antique
révèle, lors de ses fouilles, d’ abondants «
déchets de cuisine », traces d'une alimentation
végétale (noyaux de fruits) et animale : ossements
de Mammifères, Oiseaux, Batraciens, coquilles d'œufs et surtout,
conchyliorestes2 de Mollusques bivalves, tant les Romains
et Gallo-Romains en étaient friands. Le contenu de leurs
« poubelles » dans le Midi méditerranéen
confirme qu’attirés par la saveur, peut être aussi
inconsciemment par la richesse en vitamines et sels minéraux,
ils appréciaient particulièrement l’Huître plate de
réputation gastronomique extraordinaire comme chez
les Grecs, la Moule déjà recherchée par les
Gaulois mais contestée, et les accompagnaient presque toujours
de Peignes glabres, pouvant même être
préférés à l’Huître, ponctuellement
aussi de Coques Cerastoderma39. Dans l’Antiquité, les Pectens
auraient été consommés crus, ceux de Vendres et
Lespignan ne montrant d’ailleurs aucun signe de calcination
alors que les Huîtres pouvaient être exposées
à
la chaleur des braises et de la cendre, cette cuisson douce ouvrant la
coquille
et permettant ensuite l’extraction de la chair7, technique
sensée la
plus répandue en Gaule romaine.
Au vu des restes, il ne semble pas que les habitants de la zone
palustre du Sud Biterrois aient mis en pratique les diverses recettes
de cuisine très élaborées que donne Apicius40.
Toutefois, il se pourrait que les Peignes aient été
parfois « apprêtés », ainsi que le
suggèrent des sources littéraires du Haut
Empire (Pétrone) et de l’Antiquité tardive (Anthimus)41.
C’est dans un but indéniable de consommation que Pectens
surtout, Huitres et Coques furent transportés depuis les
abords du Palus jusqu’aux Avant-Monts, dans le nord du Biterrois,
soit par voie fluviale en suivant la vallée de l’Orb (Orbus),
voire aussi celles de ses affluents le Lirou (Lirius) et le Vernazobres
(Vernodubrum), d’un plus haut débit qu’aujourd’hui, soit par
voie terrestre en utilisant le port ou la traction
animale d’Equidés. Le seul problème était celui du
maintien
de la fraicheur dont Anthimus40 a souligné l’absolue
nécessité.
5 – Ici se pose la question du devenir ultime des coquilles.
L'originalité de ces conchyliorestes par rapport à
d'autres produits de consommation habituelle, vient du grand volume des
déchets, de leur odeur rapidement nauséabonde mais
attractive pour toute une faune détritivore importune et
de leur transformation en objets encombrants, peu altérables,
surtout coupants et donc dangereux. Il est prouvé que dans
l’ensemble, les plus volumineux étaient stockés à
l’écart des parties habitables, zones plus ou moins
abandonnées de dépotoirs ou de fosses-dépotoirs,
et les plus petits, jetés n'importe où : sur les sols des
pièces d'habitation, dans les latrines ou même les
canalisations.
6- Autres usages
Indépendamment de toute consommation, le Pecten pouvait
être employé aussi pour la parure à la
manière des insignes
de pèlerins médiévaux (Mauné & a.,
2006).
En témoignent des valves trouvées à
Béziers (?) et dans la villa de Lieussac, percées d’un
trou obtenu par percussion à partir de l’intérieur et non
du à un parasite.
Comme le Flion tronqué sur Lattes, il a pu avoir aussi un
rôle ornemental dans la confection de pavements tels qu’un
« unicum » de « pétoncles » recouvrant
le sol à Martigues (Provence) . En revanche, il
n’est pas prouvé qu’il ait pu décorer des parois comme un
« Cardium » (Cerastoderma ou Bucarde ?)
incrusté que présente Mouret dans son matériel de
la Villa de Vénus (Vendres)
Une utilisation funéraire de coquillages en tant que lampes, est
également évoquée : le Pecten ( ?)
signalé
dans une tombe de Murviel les Béziers(S. Raux, com.pers.) et
surtout
le Vernis fauve, Callista chiona , identifié par F.Marcou
près
de St Chinian (Fig. ). Ce dernier n’aurait pas
été
consommé mais recueilli en tant que coquille épave et
déposé dans les nécropoles pour y servir de
luminaire ou de « coupelle à sel » rituelle (Manniez
, Bardot, in Bardot-Cambot 2014).
Un dernier emploi est mécanique et architectural. Les
coquilles des Moules, Coques et Pectens petites et fragiles, ne
pouvaient guère être employées que comme
couches de dépotoir. En revanche, celles des Huîtres,
volumineuses et résistantes, constituaient par
leur amoncellement des niveaux denses, pouvant supporter une forte
pression et exercer une action drainante. Elles
permettaient de combler les latrines ou de former des remblais
d’assainissement , préparer des niveaux de sol et de circulation
comme à Narbonne.
7 - Le transport à distance
L’approvisionnement de l’arrière pays en coquillages frais
depuis le sud-biterrois suscite des interrogations sur sa
réalisation pratique. A priori, elle était moins
délicate pour ceux dont les valves bien closes (Huître,
Moule, Coques) empêchaient la fuite d’eau, que pour le
Pecten entrebâillé qui ne la gardait
pas et en outre devait être très sensible à
l’anoxie
42.Elle ne se posait pas pour les Huîtres dont le transport
à
bien plus grande distance, par exemple de Bretagne jusqu’à l’
Urbs
était pratique courante dans l’ Empire romain. Le maintien en
vie
des Mollusques et donc leur fraicheur devant être
impérativement préservés, divers auteurs (in
Labrousse, 1956) ont envisagé un transport hivernal, dans des
récipients appropriés emplis d’eau de mer, rafraichis par
de la neige ou de la glace et même leur conservation en tous
temps dans des viviers-relais aménagés sur les circuits
commerciaux. Bien que les autres auteurs aient pratiquement fait
l’impasse sur les conditions d’acheminement du Pecten, il se pourrait
qu’il ait été plus résistant que la
Pageline, ait
supporté comme les autres taxons un «
conditionnement »
en récipients spéciaux comme les amphorettes, voire
même
un stockage et pouvait donc faire, à priori, l'objet
d'expéditions plus ou moins lointaines. Ces dernières
étaient possibles dans notre région comme l’indique sans
ambages la présence de Flexopecten dans le saint-Chinianais.
En dehors du Biterrois d’autres témoignages d’envois encore plus
éloignés concernent la partie orientale du Golfe du Lion.
C’est
ainsi que depuis l’étang de Berre, le Pecten glabre et
l’Huître
auraient été transportés commercialement par
voie
fluviale (Rhone, Ouvèze, Durance) jusqu' à Orange, Aix en
Provence,
au nord de Salon (Brien-Poitevin, 1996), le Pecten
atteignant
Digne, l ‘Isère (St Romain de Jalionas) et même Lyon. Il
semblerait
donc que l’arrivage de produits encore consommables après un
parcours
d’au moins une centaine de kilomètres ait dépendu non
seulement
d’une augmentation de la rapidité des transports à
l'époque
romaine mais aussi de conditionnements « malacologiques »
efficaces
non encore élucidés à ce jour. Soulignons ici que
notre
étude ne concerne que des coquillages demeurés entiers
jusqu’à
leur consommation après un itinéraire de transport plus
ou
moins long et n’aborde donc pas le problème d’un commerce de
«
chair décoquillée », encore trop mal connu
(Bardot-Cambot, 2014a,b) et impossible à résoudre dans
notre région.
8 Le destin historique des Mollusques
Le Pecten glabre, pour autant que l’on dispose de données
fiables, fut exploité dans le Biterrois jusqu’au bas Moyen Age
comme en témoignent les gisements de
Saint-Jean-d’Aureilhan et de Béziers même (E.Gomez,
comm.pers.), alors que les sites montpelliérains de cette
époque et des siècles suivants n’en livrent
déjà plus. Au XIV e, l’espèce ne semble pas
signalée dans l’étang de Vendres, où sont
mentionnées seulement la Moule, la Coque ainsi que certains
Poissons (Mukaï, 2019) . Ce processus d’extinction s’est poursuivi
ultérieurement, l’espèce étant
considérée comme en voie de disparition au XIXe
siècle pour ne plus survivre, de nos jours, que dans les
seuls étangs de Thau et de Leucate 15
Le destin de l’Huitre plate en Occitanie est fort
différent car elle se maintient toujours, bien vivante, dans ces
deux derniers étangs où persiste un volume
d’échanges suffisant, et dans les eaux marines au large du
Chichoulet. De même, la Moule serait abondante sur les
rochers de l’embouchure de l’ Aude, remontant jusqu’au barrage anti-sel
de ce fleuve. Quant aux Coques (« Foulègues ») ,
elles vivraient encore discrètement, au moins dans une «
souillère » près du port du Chichoulet (J.Sierri,
com.pers.).
Comme l’a souligné Fauvel (1986), c’est la formation d’un cordon
littoral de plus en plus hermétique qui a entrainé
l’isolement
de nappes lagunaires, la raréfaction ou la rupture des
communications
avec la mer y changeant les conditions de vie au point
d’entrainer
la disparition de certaines espèces. Celle du Pecten glabre, non
évoquée par l’auteur, en est probablement l’exemple
le plus flagrant. Mais il
convient de souligner ici que c’est la surpêche des
Pectinidae par dragages massifs à l’aveugle (pour la Villa de
Marignan par exemple) qui, comme pour les « Pagelines »
actuelles, fut dès l’ Antiquité un facteur favorisant
majeur de l’ éradication du Flexopecten glaber, conclue au
Moyen Age.
9 – Les lacunes zoologiques
Un fait surprenant est l’absence de certaines espèces,
pourtant ubiquistes, mais qui manquaient sur les tables
gallo-romaines locales si l’on
en juge par leurs dépotoirs : le « Peigne variable »
(Fig.
) pourtant consommé sur la façade atlantique, le «
Vanneau
» qui comme aujourd’hui devait vivre en mer face au
Palus,
la « Palourde grise », (Ruditapes decussatus) (Fig. ),
également
au menu atlantique, le « Flion tronqué »
(«
Telline » ou « Ténille ») ( Donax trunculus) ,
la
Mactre coralline , le Couteau et le Rocher . Les
coquilles-épaves des trois dernières espèces
trouvées dans les vases curées
au sud de l’étang de Vendres (Fig. ), prouvent que moins
euryhalines
et recherchant une communication avec la mer, elles cohabitaient
néanmoins
dans le Palus avec la tétrade classique. Selon Bardot (….),
«
il faut peut être envisager pour ces coquillages des raisons
d’avantage
culturelles, par exemple de l’ordre du dégoût ou des
interdits
… ». Par ailleurs, la discrétion des Murex, «
Rocher
fascié » (Hexaplex trunculus) et « épineux
»,
Bolinus brandaris, (Fig. ) pourtant recélés par les sites
archéologiques
gardois et de l’Est héraultais que fournissaient en abondance le
Golfe
d’ d’Aigues-Mortes et le bassin de Thau, s’expliquerait par le
fait
qu’il s’agit là d’espèces essentiellement marines,
encore
péchées de nos jours en mer au Chichoulet. Contrairement
aux
autres genres, leur absence sur les sites gallo-romains biterrois et
leur
limitation aux vases vendroises, dans l’extrême sud de
l’étang,
semble montrer qu’ils n’ont pu s’accomoder du milieu lagunaire du Palus
et
son ambiance confinée à l’intérieur des terres.
Ainsi
se trouve éliminée l’hypothèse pourtant
séduisante,
d’une possible industrie purpuraire locale, tout comme sur
Narbonne
où les Murex n’ont été trouvés qu’en faible
quantité
(Bardot,2011) et beaucoup plus loin aussi en Provence
(Brien-Poitevin,1996).
CONCLUSION
Ce deuxième travail confirme qu’au Sud de Béziers, un
ancien bras de mer, le Palus Hélicé d’ Aviénus,
est à l’origine des actuels étangs de Vendres et de la
Matte, cela grâce au truchement de marqueurs biologiques en
apportant la confirmation définitive : une plante
archaïque de sables dunaires, l’Ephedra distachya (Lopez,2019)
et divers Mollusques marins, dont Flexopecten glaber
taxon à design élégant devenu quasi «
emblématique » dans notre région . Outre leur
position de témoins dans la flore et la faune antiques, ils
furent exploités par l’homme, notamment à l’époque
gallo-romaine dont les habitats sont signalés sans
équivoque par leurs conchyliorestes. Ainsi , plus que par
les autres vestiges de consommation, les activités humaines de
l’Antiquité biterroise deviennent presque familières
par des coquillages pêchés à
proximité, transportés,
mangés, et jetés enfin en dépotoirs ou autres
lieux,
beaucoup plus rarement employés pour d’autres usages, de la
décoration
à la maçonnerie.
Soulignons que l’ étude a été confortée par
une démarche d’ordre écologique in situ, à
l’emplacement même du Palus : la recherche sur deux ans de
coquilles-épaves11, d’une part dans les sédiments qu’ont
remonté des labours profonds de l’étang de la Matte,
d’autre part dans les vases extraites de celui de Vendres lors du
curage de canaux12 révélant en masse les valves des
Mollusques Lamellibranches et les coquilles spiralées des
Gastéropodes, la plupart déjà anticipées
par leurs
conchyliorestes dans les sites archéologiques.
In fine il est apparu un bel exemple d’interdisciplinarité
confirmant que l’archéologie gallo-romaine peut faire appel
à
la faune d’un milieu aquatique, et même à un taxon
végétal ayant permis, dans un premier temps, de
reconstituer sa ligne de rivage(Lopez,2019). Associant l’
archéozoologie qui prouve une nouvelle fois son
efficacité, la paléohydrographie et un suivi
chronologique depuis la protohistoire jusqu’à l’époque
moderne, elle confirme dans le Biterrois que les conchyliorestes
représentent d’une part un mobilier de choix, pour
connaître les activités humaines passées, et
d’autre part, favorisent les sciences de la vie en reconstituant
une partie modeste mais éloquente de la biodiversité
antique.
Avec la participation de Monique Clavel-Lévêque * (Parc
culturel du Biterrois), Elian Gomez *, Francis Marcou (Cébazan),
Jean-Claude Rieux (Valras, Parc culturel du Biterrois) et Patrimoine et
Nature (Vendres)
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